Marc Darmon : Nous allons commencer. Pour préparer cette journée, nous avons demandé que des membres fassent des propositions, des projets, etc. Je dois dire que nous n’en avons pas eu beaucoup. Par contre, quand j’ai envoyé la lettre, j’ai eu beaucoup de retours avec des propositions de projets. Donc c’est très intéressant si des historiens de la psychanalyse se penchent sur ces lettres, ils auront une idée évidente de notre groupe. L’idée c’était que l’on ouvre les discussions.

Le but de cette table ronde c’est de proposer des thèmes de travail, des axes de réflexion qui soient susceptibles de favoriser les échanges entre les différents groupes, les différentes écoles et aussi à l’intérieur de ces entités, donc quelque chose qui permette de rassembler et de profiter de l’intelligence et de l’invention de l’autre pour avancer nous-mêmes. On va donc interroger les participants sur ce qu’ils proposent, et comment ils voient les choses.

Alors je vais demander à Gérard Amiel peut-être de commencer car il est tenu par le temps.

Gérard Amiel : Merci, merci beaucoup Marc.

Chers amis, chers collègues, cher Maître,

Rires fournis dans la salle.

Comment ? Mais non ! Il n’y a pas de quoi rigoler du tout. Rire de cela est d’ailleurs à entendre de manière tout à fait symptomatique. Nous sommes précisément dans un temps où le bord que nous offre la chance d’avoir eu un maître dans notre existence n’est plus tellement donné et pose précisément la question de la transmission et de son éventuel échec aujourd’hui. Je ne pense donc pas que ce soit un sujet tellement risible, mais au contraire plutôt tout à fait dramatique.

Je souhaiterais commencer en rappelant que nous ne faisons pas de la théorie. Si nous ne faisons pas de la théorie, ceci signifie que nous extrayons notre savoir d’une expérience que nous sommes les seuls à pouvoir tirer. Notre champ est bien plus lesté que le serait celui du discours philosophique par exemple, car notre savoir relève de cette spécificité d’être hérité d’une pratique. Pas n’importe laquelle, mais une pratique qui est en acte. Et visiblement toute la difficulté pour nous aujourd’hui est de savoir comment transmettre cette pratique en acte, qui n’est pas authentifiable par un diplôme, par l’éventuelle position qui consiste à avoir pignon sur rue pour certains, etc. Que cette spécificité qui est la nôtre, qui est celle qui tient à un discours, nous avons d’une part à la transmettre, bien qu’elle soit si difficile à définir, à caractériser. C’est là le point complexe auquel nous sommes confrontés.

Alors quand même, nos cures, nos analyses nous font rencontrer quelque chose que Lacan a écrit : S(Ⱥ). Cette question donc du signifiant du manque dans l’Autre qui pourrait à la fois assurer notre bonheur, mais qui aussi est cause de notre pente habituelle et de notre plus grand danger. Puisque dans notre rapport à l’Autre, le péril qui nous guette tout le temps est d’interpréter. « Que me veut-il ? » Il nous faut faire très attention à cette dimension de l’interprétation, qui je crois parfois fuse dans le groupe et en tout cas vient empêcher que quelque chose du travail trouve sa véritable place. Bien sûr que nous avons tous connu, dans nos analyses diverses, des tourmentes, des tourments, mais le seul remède que pour ma part j’ai alors pu trouver et que d’expérience il semblerait que bon nombre de nos collègues aient pu également trouver, ce fut le travail. Mais attention, sûrement pas le travail dans sa dimension seulement surmoïque, mais le travail pris dans le désir, le travail et le désir donc. Pourquoi est-ce que je le rappelle ? Et c’est essentiellement à cela que mon propos se limitera, puisque nous allons parler de projets actuels et à venir, c’est qu’il est peut-être nécessaire mais à la fois fort dommage de devoir institutionnaliser trop cette affaire du travail. Qu’il est aussi très préjudiciable de vouloir trop formaliser les rapports entre l’ALI, à laquelle nous participons à part entière comme membres depuis de nombreuses années et ce qui peut se jouer dans nos écoles régionales où nous avons aussi localement à porter cette dimension de l’analyse. Alors comment faire en sorte que des groupes qui ont ou devraient avoir intérêt commun, mais pas forcément géométrie ou géographie commune, puissent néanmoins concilier quelque chose et circuler ensemble ?

Alors je vous donne un exemple par rapport à ce que je vous disais tout à l’heure sur l’interprétation. C’est quelque chose que je n’ai pas été le seul à repérer puisque de nombreuses personnes m’en ont fait part. Il arrive très couramment quand on est en province que l’on apprenne que des journées vont être mises en œuvre à Paris et qu’elles nous intéressent. Or pour des raisons qui ne sont pas à interpréter, qui relèvent tout simplement de la taille du groupe, d’histoires d’agenda et de calendrier, quand les gens de province veulent donner leur participation, on entend très régulièrement : « Ah, c’est fini, c’est trop tard, le programme est bouclé, il est rempli, etc. » C’est embêtant, en effet.

Alors nous parlions de comment sortir d’une crise d’ordre politique, réponse : notre travail, notre désir, notre souhait de continuer à faire avancer l’analyse… Je retournerai les choses avec humour, chez nous il n’y a pas de crise et il y a de la place pour ceux qui veulent travailler. À ce propos, il est très important aussi que les collègues parisiens puissent se déplacer, qu’ils puissent venir également pour écouter nos travaux, y participer, ceci d’ailleurs se produit de temps à autre, mais de façon trop rare à mon goût. Évidemment en fonction des localités où nous nous trouvons, nous n’avons pas exactement le même symptôme, et au lieu d’organiser la guerre des symptômes, se battre à propos de qui a le meilleur, il serait plus juste d’apercevoir que cette diversité est extrêmement riche, puisque la manière d’entendre de l’un, qui ne relève pas du même Réel que celui de l’autre va permettre de se déplacer, d’entendre autrement, etc.

Voilà, donc il s’agissait simplement de donner un propos introductif et général. Enfin dernière chose, dans tout groupe il y a toujours certains membres qui s’en marginalisent, c’est peut-être inévitable la question de ces marginalités, du moment que ce ne sont pas des black blocs, c’est-à-dire que ce n’est pas une entreprise de destruction, qu’importe, nous avons aussi à tolérer cette part de marginalité que certains souhaitent également, pourquoi pas ? Donc mon intention de redire que ces écoles régionales ne sont pas à côté de l’ALI, mais en font partie intégralement, et que nous avons encore à inventer les modalités de nos échanges dans le travail, certainement autour de journées, mais que ceci ne saurait être à sens unique, nous avons les uns et les autres à circuler. Il nous arrive souvent à Grenoble d’avoir à nous déplacer dans d’autres écoles régionales, pour écouter des collègues qui font des choses qui nous paraissent importantes, comme à l’étranger aussi d’ailleurs, pour contribuer à notre discours.

Voilà pour l’essentiel, je vous remercie pour votre attention.

Marc Darmon : Merci à Gérard Amiel. À l’ALI Paris, l’ALI internationale, dont vous faites partie, on se sent un petit peu seul. Quand il s’agit d’établir le programme des journées, des séminaires, on a un manque, celui des propositions des écoles régionales. C’est un véritable dialogue de sourds. Il faudrait effectivement favoriser les échanges, prendre son téléphone et poser des choses et nous de même.

Gérard Amiel : Helen (Sheehan) tu voulais peut-être parler ? Dire quelque chose par rapport à l’Irlande ? Je donne la parole à nos amis qui viennent de loin !

Helen Sheehan : Oui par rapport à cette marginalité, c’est peut-être le lot commun du psychanalyste, sa vie est d’être marginal. Néanmoins, nous avons essayé à quelques-uns chez nous de faire le lien avec d’autres lieux en France, en particulier avec, comme Gérard est en train de le dire, Grenoble. Cela marche en effet d’une certaine façon. Je voudrais aussi évoquer quelque chose qui je crois est probablement seulement un problème administratif, je vais sembler égoïste, mais depuis les trois années passées, j’ai traduit le livre de Charles Melman Les nouvelles études sur l’hystérie, en anglais, or ce travail n’a jamais pu figurer dans le livret des enseignements malgré mon insistance. Ça n’a jamais été possible !

Marc Darmon : Il y a peut-être un problème de poste ?

Helen Sheehan : Non, non, je ne crois pas ! La poste chez nous c’est comme le Tiers-monde, mais quand même, ce n’est pas à cause de la poste !!! C’est peut-être un problème lié à la mer, à la mère, dans les deux sens, la mer et la mère qui nous sépare. Je ne sais pas. Mais en tout cas pendant trois ans mon nom et mon travail n’étaient pas annoncés dans le livret. Alors je suis terriblement triste et seule, et je pleure tous les jours à cause de cela !!!

Gérard Amiel : En tout cas Helen, ce que l’on peut aussi dire, c’est qu’au départ, cette amitié analytique franco irlandaise est née à l’initiative de Charles Melman.

Helen Sheehan : Oui, il l’a voulue. Il ne faut pas négliger ce que Charles Melman a fait pour nous en Irlande, il est venu nous aider il y a presque trente ans. Il a essayé de faire en sorte que la psychanalyse que nous pratiquons ne soit pas la psychanalyse sauvage. Il a essayé de nous faire entendre ce qu’est la psychanalyse. Il n’avait pendant toutes ces années strictement rien à gagner en venant chez nous. Mais il est venu même au mois de décembre.

Gérard Amiel : C’est en effet le pire moment pour venir en Irlande !!!

Helen Sheehan : Nous avons une dette énorme à son égard. Il est venu ! Dans notre histoire, les Français sont toujours venus à notre aide, et ça continue…

Gérard Amiel : Merci beaucoup Helen.