Communication de la journée du 12 décembre 2015 re-tours sur la névrose obsessionnelle

Si nous partons de la dissymétrie des deux champs déterminés par l’instance phallique, c’est-à-dire un champ situé côté mâle, tout phallique et l’autre côté femme, pas-tout phallique, espace infini bordé par le phallus d’un côté et ouvert de l’autre, S1 d’un côté et S2 de l’autre pour faire vite, avec entre les deux cet incommensurable, ce hiatus du Réel impossible à symboliser, la névrose obsessionnelle, nous dit Charles Melman, tendra et tiendra à se situer ni d’un côté ni de l’autre mais essaiera de tenir ensemble les deux, S1 et S2.

Aussi sa position sexuée est bien ambiguë dans le fait de non vouloir renoncer à l’objet a relatif au côté femme. De plus, sa tentative d’annulation de l’instance phallique, (Charles Melman parle même de forclusion) en y substituant l’objet anal ne peut qu’obscurcir sa position sexuée, instance revenant du Réel sous forme injonctive (et non dans le Réel comme dans la psychose) et directe (non inversée) qui va se négativer dans un deuxième temps (Ne pas rendre les trois florins…)

Pouvons-nous admettre qu’il s’agit là de la même chose pour une femme ?

Si nous nous référons à la symptomatologie bruyante de la névrose obsessionnelle, nous constatons une grande similarité dans leurs symptômes qu’ils soient homme ou femme : propreté, vérification de fermeture ou d’ouverture, emplacements précis d’objets, comptage, superstition, impulsions, etc.

Existe-t-il alors une spécificité de la névrose obsessionnelle chez la femme, question posée par Janine Marchioni dans la dernière leçon du séminaire de Charles Melman du 8 juin 1989, question que nous reprenons à notre compte ?

Avant d’apporter peut-être une réponse, revenons en arrière, à la leçon du 11 juin 1958 de Jacques Lacan, dans son séminaire sur les Formations de l’inconscient. Il commente à cette époque l’analyse faite par Maurice Bouvet d’une névrose obsessionnelle féminine parue dans la Revue Française de Psychanalyse XIV, n° 2, 1950 et qui s’intitule « les Incidences de la prise de conscience de l’envie de pénis dans la névrose obsessionnelle féminine. »

Il s’agit d’une femme de cinquante ans, mère de deux enfants, de profession paramédicale qui vient consulter pour une série de phénomènes obsessionnels assez banaux tels la crainte d’avoir contracté la syphilis, des obsessions d’infanticide, d’empoisonnement, à thème religieux avec des phrases injurieuses, scatologiques en contradiction avec ses convictions. À la place de l’hostie qui est la présence du corps du Christ puisqu’elle est catholique, elle imagine des organes génitaux masculins. Ainsi, nous pouvons dire que cette fameuse instance phallique plus ou moins annulée refait surface, là dans l’imaginaire. Elle a aussi rêvé qu’elle écrasait la tête du Christ à coups de pied, tête qui ressemblait à celle de son analyste. Dans ses associations à ce propos, elle relate qu’elle passe chaque matin devant un magasin funéraire où sont exposés quatre Christs et qu’en les regardant, elle a la sensation de marcher sur leur verge en éprouvant un plaisir aigu et de l’angoisse.

Par ailleurs, elle reproche à son analyste le fait de ne pas pouvoir se payer des souliers dont elle a grande envie, soulier qui est un symbole phallique comme chacun sait. Quand elle est bien habillée et que des hommes la désirent, elle se dit que là encore ils en seront pour leur frais et est contente d’imaginer qu’ils puissent en souffrir.

Loin de désirer devenir un homme comme Maurice Bouvet lui laisse entendre en voulant posséder ce phallus, il s’agit pour Lacan de comprendre quel rapport au phallus il y a dans ses relations aux hommes.

Il y a d’abord le rapport du sujet à la mère ou plutôt à son désir, mère qui a des relations problématiques au père de la patiente qui, elle-même, avait des souhaits de mort envers toute personne s’immisçant dans la relation fusionnelle mère-fille. La façon dont le problème du désir se manifeste dans la vie de l’obsédé est précoce. Nous citons Lacan : « Ce désir qui aboutit à ceci que le sujet voit pour lui se profiler pour fin, la fin non pas d’avoir ceci ou cela, mais d’abord d’être l’objet du désir de la mère, avec ce que ceci comporte, c’est-à-dire de détruire ce qui est, mais inconnu, l’objet du désir de la mère ; c’est précisément ce à quoi est suspendu tout ce qui va désormais pour le sujet lier l’approche de son propre désir à un effet de destruction et ce qui en même temps subordonne, définit, si l’on peut dire, l’approche de ce désir comme tel au signifiant qui est précisément par lui-même le signifiant de l’effet du désir dans la vie d’un sujet, à savoir, le phallus. »

La critique que fait Lacan de l’analyse de Maurice Bouvet à ce propos comporte les points suivants : le fait de confondre désir et demande, l’identification à l’analyste dans la conduite de la cure et la confusion de l’être et de l’avoir. Et selon Lacan, « ce qu’il aurait fallu lui montrer, c’est que l’homme n’est pas le phallus pas plus que la femme et ce qui fait son agressivité à l’égard de son mari en tant qu’homme, c’est pour autant qu’elle considère qu’il est le phallus et c’est à ce titre qu’il est son rival, c’est-à-dire que ses relations avec lui sont marquées du signe de la destruction obsessionnelle. »

Revenons maintenant à la réponse que donne Charles Melman à Janine Marchioni dans la leçon déjà citée : « […] la femme dont le destin risquait d’être obsessionnel, cette femme avait eu tendance au moment de l’Œdipe à se mettre vis-à-vis du père en position de rivalité ; […] je veux dire que si la position hystérique aurait été d’attendre du père la solution de la castration, d’attendre de son amour qu’il trouve la réponse adéquate, il semblerait que chez une femme dont le destin risque d’être obsessionnel, la cristallisation se fasse plutôt sur une position qui est de rivalité œdipienne avec le père, y compris d’ailleurs avec une certaine dimension du même coup homosexuelle… »

Il nous semble que ce dire de Charles Melman recouvre ce que Lacan analyse chez cette patiente de Maurice Bouvet, rivalité avec le père puis les hommes marquée du signe de la destruction obsessionnelle. À l’inverse, l’obsessionnel mâle ferait du père un semblable, un alter ego, en attendant patiemment sa mort pour prendre sa place dans la série des générations.

Peut-être est-ce un des traits différentiels entre la névrose obsessionnelle féminine et la névrose obsessionnelle masculine ?