Journée du 6 octobre

Cette journée inaugure la création d'un département à l'Ecole Rhône-Alpes, département qui voudrait donner un accent particulier aux faits sociaux et à ceux qui dans le social œuvrent à maintenir la possibilité du lien social. Cet accent particulier étant pour nous dans la référence au Discours Analytique.

Sous quelle forme ce département ?

Bien sûr, il va se construire au fur et à mesure des interventions des uns et des autres, mais pour l'instant, le projet est de mettre en place une nouvelle journée avec des réunions préparatoires ; mais aussi, il pourra y avoir des invitations d'acteurs du champ social qui, à travers leurs écrits, témoignent des états de la cité.

J'ai parlé de création, mais ce n'est pas tout à fait exact, parce que tout ceci vient à la suite de ce qui existe déjà à l'ALI à Paris : un département de psychanalyse et travail social sous la responsabilité de Jacqueline Bonneau dont la détermination et l'engagement donnent corps à ce département ; ses conseils et son appui m'ont été très précieux dans cette préparation.

Merci à J.P. Lebrun et à J.L. de Saint-Just qui travaillent dans ce département à Paris de nous avoir rejoints aujourd'hui.

Cette création n'a pas pu se faire sans l'accord de J.P. Hiltenbrand qui soutiendra cette entreprise par ses conseils, mais aussi par l'élaboration qu'il poursuit sur le lien social (voir son livre « Insatisfaction dans le lien social », Eres) et dans son séminaire.

Enfin, tout ceci a été facilité par des collègues analystes : Chantal Gaborit, Claire Caumel Feltin, Jacqueline Legaut et pas mal d'entre nous à l'Ecole Rhône Alpes impliqués depuis déjà longtemps dans les institutions et dans la cité.

En guise d'introduction pour ces journées et pour engager tout de suite ce travail dans notre département, lui donner une certaine perspective, je prendrai ce biais que ma pratique auprès des travailleurs sociaux m'a toujours indiqué.

Avec quoi les travailleurs sociaux travaillent-ils ?

Principalement avec ce que nous appelons le savoir insu, savoir insu qui se trouve ici engagé d'une certaine manière.

Le savoir insu c'est ce qui est à la fois pour chacun d'entre nous le plus intime et le plus étranger. Intime parce qu'il nous commande, organise nos répétitions, nos styles, nos manières de répondre, d'agir, que ce soit dans le succès ou dans l'échec. Le plus étranger aussi puisque ce qui nous mène, c'est ce qui ne peut être pris dans la chaîne signifiante, dans la parole et de plus notre subjectivité est conditionnée par le rapport que nous entretenons avec ce savoir insu. Tout le cadre de l'analyse de la pratique est pris là-dedans.

Selon la place qu'ils occupent dans l'institution, les travailleurs sociaux sont obligés de travailler plus ou moins avec « ça » dans leur rencontre avec les personnes en difficulté ; on peut dire que, littéralement, ils sont sous le coup de cette « Chose ». Ils ne peuvent pas en faire l'économie s'ils veulent s'engager avec eux et l'on peut remarquer dans les analyses de la pratique que les personnes sont atteintes par une trop grande présence de ce savoir insu. Selon les cas, si ce savoir insu facilite une pratique, il peut être pris pour un bon sens et du coup se montrer redoutable par son caractère acéphale. S'il est perçu comme relevant d'un idéal (idéal éducatif normatif, par exemple), il peut s'avérer totalitaire. C'est presque mieux quand il échoue : devant telle ou telle situation, par le ratage, est introduite une coupure.

Dans les analyses de la pratique, on peut remarquer que le premier temps consiste à lui faire une place dans la réunion, aider à sa reconnaissance par la possibilité donnée aux équipes de nous enseigner, en ne plaquant pas trop rapidement des connaissances, en indiquant ainsi que ce savoir insu peut être une boussole, qu'il n'a pas seulement ce caractère obscène ou persécutoire qui induit toutes les résistances.

Résistance par la passion que certains peuvent éprouver dans la compréhension quasi immédiate des symptômes de ceux dont ils s'occupent, ce « sentiment océanique » dont se méfie tellement Freud dans « Malaise de la civilisation » et du coup, pourquoi faudrait-il quelqu'un pour réfléchir sur leur pratique et, en plus, analyste ?

Faire une place à ce savoir insu par la parole pour qu'il perde son trop-plein de jouissance, c'est déjà la première mise en place d'une coupure. Reconnaître avec eux que leur insatisfaction à ces équipes tient peut-être à la vie institutionnelle et à son dysfonctionnement, mais les aider aussi à reconnaître que ce qu'ils ont à mettre en avant, parfois trop sur le devant de la scène dans leur pratique, les fait souffrir, les atteint.

Ils sont confrontés à des situations, des mises en acte, des monstrations qui relèvent de quelque chose d'incestueux. Mais eux-mêmes les réponses qu'ils ont à apporter sont marquées d'un forçage qui pousse à vivre à découvert.

L'analyse de la pratique est ce temps de mise en place dans la vie institutionnelle d'un écart, d'une coupure à trouver, que les équipes pas plus que les responsables qui nous ont pourtant sollicités ne sont pas toujours prêts à accepter.

Une fois passé ce temps, une fois reconnue cette place pour le savoir insu, il faut qu'il puisse être ordonné, lui faire opérer une sorte d'effacement, qu'il retourne à sa fonction d'énigme, que les situations elles-mêmes comme les pratiques soient perçues comme des énigmes. Cette coupure, on la retrouve à l'œuvre dans la reconnaissance de la différence des places, dans l'effort de discrétion sur les vies intimes de tout un chacun, dans le souci de faire un tant soit peu autorité, en somme dans tout ce qui peut aller à l'encontre de ce « pousse à l'inceste », inceste inhérent à toute vie institutionnelle.

Mais l'analyse de la pratique a aussi ses limites, si elle n'est pas relayée dans les lieux mêmes d'hébergement ou avec les analystes par des apports théoriques dans les groupes de travail et par les propres travaux des travailleurs sociaux avec leurs expériences de terrain.

Redonner le goût, en somme, de ce qui est absent et insaisissable, ce point d'impossible, seul susceptible de créer de la pensée.