Le déficit de confiance serait une manifestation de ce qu'il est convenu d'appeler « la crise ».

Les événements spectaculaires que l'on pointe dans l'actualité immédiate ne doivent pas conduire à occulter le fait que la crise n'est pas un état mais un processus long, un travail de décomposition - recomposition institutionnelle entre deux ordres « stabilisés » du monde.

L'avancée de ce processus de désinstitutionnalisation est aujourd'hui telle que les régularités qui organisaient le social sont mises à mal. De sorte que c'est un véritable désarroi qui s'exprime, devant l'insaisissable d'une période de basculement. « Ça ne fonctionne plus ». C'est-à-dire que l'on ne sait plus à quoi s'attendre, et qu'il devient difficile d'anticiper la manière dont sont susceptibles de se déployer les événements relatifs au vivre-ensemble.

L'effectivité de l'idéal de l'autonomie individuelle, de l'exercice sans entrave de son libre arbitre, fait que l'autre - s'il échappe fondamentalement par nature - devient aujourd'hui radicalement imprévisible.

Sans doute faut-il repérer là une difficulté que traduit l'évitement du risque de la confiance. Cela ne doit pas, cependant, nous dispenser de prendre en compte que l'autre, sujet, échappe. La confiance n'est pas le résultat d'un contrat qui se fonderait sur une garantie. Elle est, sans appui que celui d'être en mesure de soutenir sa parole, la condition du pacte ouvrant sur le possible d'une rencontre - rencontre vouée au ratage... Il s'agit alors de rater mieux, de bon heurt... Qui suppose de prendre en compte l'irréductible écart dans le rapport à l'autre. Nous n'avons pas le choix de ne pas faire confiance. Et la méfiance n'est pas un vaccin.

L'idéal de progrès appuyé sur la science qui se noue à la dynamique d'émancipation individuelle a largement imprimé une manière de concevoir un déroulement mécanique de l'existence, que l'on pourrait expliquer selon une articulation de type cause - effet. Nous voudrions saisir cette cause ultime, identifier l'origine, mettre à jour un ordonnancement linéaire et déterministe, boucler la boucle... Et éventuellement, dans ce procès, débusquer les coupables dont nous serions victimes, c'est dans l'air du temps...

Cet idéal de la science va de pair avec une conception de la vérité comme exactitude et il s'agit, en identifiant la cause, de révéler la preuve. La vérité serait « ce qui colle », ce qui peut être prouvé - chiffres à l'appui. Ce qui est visé est de l'ordre de la cohérence - laquelle vaudrait certitude - et au-delà un « fonctionnement » complet et fermé, susceptible d'être maîtrisé.

Or, la promesse de la science - sortir de l'aliénation par la mise à jour de la vérité comme exactitude et de l'enchaînement causal, dans l'idéal d'une maîtrise de l'existence - se révèle comme une impasse s'agissant du cheminement subjectif, tel qu'il peut s'éprouver dans le travail analytique.

C'est une conception autre de la vérité qui s'éprouve dans l'analyse. La question centrale n'est pas celle du vrai au sens de l'exactitude. Dans le progrès de la cure, il apparaît que c'est le récit qui fait vérité, au sens de ce qui est effectif. Le récit tel qu'il est rapporté, ou tel qu'il surgit, hors de toute construction, au gré des événements, des rêves et des associations à partir desquels il se tisse. Récit que l'analyste ponctue, fût-ce par le silence, assumant là un point d'appui pour une mise en forme qui invite à prendre la mesure du caractère effectif.

La cure analytique est souvent assimilée, dans la vulgate courante, à une sorte d'enquête sur son passé. Or, le travail se déroule dans le présent. La tentation de l'archéologie n'a pas de sens comme chronologie et logique historique, et il ne s'agit pas non plus de la découverte d'un élément enfoui et caché. Dans les souvenirs se révèlent des événements comme points de surgissement contingents (c'est-à-dire qui ne se situent ni dans le registre du nécessaire ni dans celui de l'accidentel). La temporalité est celle du récit. Il n'y a pas de réel en dehors du langage. La substance du réel renvoie à la narration (« au commencement était le verbe » !).

Déficit de confiance aujourd'hui ? Les experts de la crise qui en appellent à une réintroduction de la confiance visent la remise en place d'un fonctionnement de type « immédiat ».

Mais la confiance qui ouvre au possible de la rencontre, à l'inscription d'une altérité, suppose de se dégager de l'emprise de la conception de la vérité comme exactitude, suppose d'être en mesure de soutenir une vérité dans sa structure de fiction, impossible à dire, une vérité qui se loge dans l'effectif de la narration. C'est ménager la place de l'inconscient, lequel ne calcule pas. Les tentatives actuelles de mise à l'écart, voire de rejet, de la dimension inconsciente, sont bien la manifestation de la difficulté à soutenir la division, la contradiction, et à prendre en compte ce qui vient faire obstacle à la certitude et à la cohérence. Faire confiance, c'est prendre en compte ce qui échappe.