Chaque Homme à un moment donné rencontre l'histoire. Il n'est plus seulement cet écho de lui-même, étranger au monde, qu'il garde par devers lui caché, bribe arrachée à l'éternité de sa jeunesse et à l'infini de ses promesses.

Ordinairement le lieu de cette rencontre s'établissait dans le cénacle familial. Lieu tour à tour clos et poreux aux exigences de l'époque mais de toujours régi par un ordre symbolique, imposé, subi sans que l'origine puisse par quiconque en être déterminé, mais qui le dépassait et lui offrait ainsi sa légitimité dans un point d'extériorité inaccessible, et où se nouait la véritable tragédie du petit d'homme : l'assomption de son inéluctable destinée mortelle qui ne trouve à se réaliser que dans la puissance en acte des rets de son désir, tels que l'objet a les ordonne. Soumission avertie qui l'autorise à un semblant de jouissance, à une jouissance tronquée de sa valence mortifère, et le prédispose sans garantie aucune, à la possible et incalculable rencontre de l'altérité, au prix de l'inadéquation foncière de ces dites jouissances, celle de l'Un et celle de  l'Autre.

Au nom de quelle ratio ? Pas plus du fait de quelque arbitraire céleste qu'en raison de l'antique tutelle d'un dieu lare forcément défaillant et unanimement de nos jours déconsidéré, faute de ne pouvoir d'aucune façon s'inscrire ou émarger au registre de la preuve, mais en vertu des lois du langage et de la parole, seul héritage commun, seule identité, à même de fournir le socle de notre vivre ensemble, prétention exorbitante désormais dans le monde du calculable. Il nous est proposé, et bientôt, à n'en pas douter, proclamé par voie législative, de consentir à la désertion de ce lieu, à l'évidement de sa nécessaire et inhérente conflictualité, au profit d'un rapport direct à un socius rénové, sans médiation, sans obstacle, dans la pluralité de jouissances équivalentes et relatives. La délégitimation systématique de tous les tenants lieux du savoir, qu'ils œuvrent dans le champ de l'éducation, du social et surtout du politique, laisse l'individu neuf et seul à soutenir sa promotion au rang d'étalon pour, dans son moderne aveuglement, se soumettre à une jouissance normée et conformiste.

A ce titre qu'est ce qui distingue les deux impétrants à la plus haute fonction de notre démocratie représentative et constitutionnelle ? La similitude de leur profession de foi semble avoir échappé aux commentateurs. Directement inspirés de la théorie de la justice comme équité de John Rawls, s'y mêlent sans discernement : promotion de la victime identifiée à son traumatisme comme nouvel idéal social, et comme seule position pertinente, avec comme corollaire l'extension illimité d'un matriarcat institutionnel, qui faute de réfèrent tiers, se propose de légiférer le moindre de nos errements humains ; prévention du désir, avec la promesse d'une réparation entière grâce au secours de la science de la débilité de notre condition humaine, dans une perspective hygiéniste, pour nous débarrasser enfin des saloperies qu'il entraîne, des scories, des saletés qui polluent l'écran de la satisfaction ; primat donné à l'évaluation dès avant la conception, et tout au long de la vie, désormais conçue comme une formation sans césure en vue d'une adaptabilité toujours plus accrue aux contraintes du marché, etc… La liste des accointances serait longue et fastidieuse jusqu'à l'encadrement, militaire pour l'une et policier pour l'autre, du désarroi insondable de la jeunesse. A ce propos, il faut noter que les trains de mesures, tantôt compatissantes tantôt coercitives, adressés aux jeunes, résidant dans ce que l'on nomme les banlieues ou les quartiers sensibles ( à quoi ?) ignorent que là comme ailleurs, il n'y a que des jeunes femmes et des jeunes hommes qui aspirent, d'où qu'ils viennent, à participer au destin de la nation et à vivre leur vie, selon les lois de la République, et qu'ils ne sauraient se signaler par une quelconque assignation à une zone plus ou moins déshéritée.
Il appartiendra à chacun toutefois de repérer la différence essentielle qui distingue ces projets et nommément dans ce qu'il convient d'appeler la possibilité du politique et à cet égard ils diffèrent sans conteste, puisque l'un, tant dans sa conception que dans sa visée, vient à en produire une mise en question radicale en le reléguant au rang de la contingence et où le populisme, avec les affres qu'il nous promet, ne situe assurément pas du côté où l'on croit.

Nous disions en préambule que chaque femme, chaque homme, rencontre l'histoire, les petites, les dérisoires, les sublimes ou les sordides, voire la grande pour laquelle Jacques Lacan avait tant de préventions, en ce qu'elle instituerait un sens, d'ors et déjà inscrit que nous n'aurions plus qu'à redécouvrir, une prédestination, qui ne se départit qu'à peine de la paranoïa de structure du parlêtre. La question qui nous occupe est celle là et celle là seule : comment soutenir un lien social dont la charpente soit le désir, celui qui propulse un homme dans l'ignorance de ce qu'il vise, à savoir le jeu de quelques lettres qui le conditionne, au-delà et par delà tout naturalisme, à la rencontre d'une altérité foncière et pourtant pas toute, une femme, pour, dans le ratage qu'il y rencontre, dans la boiterie, y forger son destin et supporter l'insupportable qui nous voue au ratage et par là à la vie .