Quelques remarques sur le livre d'Atiq Rahimi, Prix Goncourt 2008

Syngué Sabour, Pierre de Patience, n'est-ce pas à partir de ce « cœur de pierre » que le livre s'écrit ?
Atiq Rahimi est un auteur d'origine afghane qui réussit ce « tour de force » de parler d'une voix de femme ; tour de force relatif si on se rappelle la féminisation du sujet par la lettre comme Lacan l'évoque à propos du conte d'Edgar Poe (Écrits La Lettre volée p.11), la plume de l'écrivain n'étant alors que l'illusion d'une maîtrise soumise au jeu de la lettre organisé par le signifiant phallique. De plus, il n'écrit pas dans sa langue maternelle, ce qui pourrait accentuer l'effet féminisant.

Quelques remarques sur le livre d'Atiq Rahimi, Prix Goncourt 2008

Syngué Sabour, Pierre de Patience, n'est-ce pas à partir de ce « cœur de pierre » que le livre s'écrit ?
Atiq Rahimi est un auteur d'origine afghane qui réussit ce « tour de force » de parler d'une voix de femme ; tour de force relatif si on se rappelle la féminisation du sujet par la lettre comme Lacan l'évoque à propos du conte d'Edgar Poe (Écrits La Lettre volée p.11), la plume de l'écrivain n'étant alors que l'illusion d'une maîtrise soumise au jeu de la lettre organisé par le signifiant phallique. De plus, il n'écrit pas dans sa langue maternelle, ce qui pourrait accentuer l'effet féminisant.
Ce roman se déploie, nous semble-t-il, dans un temps logique, celui de l'analyse :
L'instant de voir : La chambre où gît le cadavre vivant alimenté par une perfusion gastrique égrenant le goutte à goutte du liquide salvateur, corps vivant aréactif au toucher, à la parole mais doué d'une respiration machinale.
Le temps pour comprendre, pendant lequel la parole d'une femme se déroule entrecoupée d'absences rythmées par la visite chez sa tante. Que nous dit-elle ? Parole libre dans un pays en proie à une guerre fratricide que ponctuent de temps à autre des coups de feu aléatoires, parole adressée à cet homme, son mari, cet héros guerrier réduit au silence par une balle logée dans la nuque mais qui, miraculeusement, vit et écoute sans entendre sa femme, cette inconnue de lui-même qui se dévoile au fil des pages. Elle lui raconte son amour, son désir qui l'a portée à se taire sous peine de mort et qui en ce moment si précieux peut se dire. Une vérité s'avoue, censurée (et non refoulée) par elle-même et par le contexte social où elle a cependant une place qu'elle ne veut perdre. On nous fera remarquer par quelque raillerie que nous situons l'analyste en bien mauvaise posture, allongé, silencieux, quasi agonisant. Certes, nous avouons que la situation est un peu forcée mais quelque peu analogique cependant : ne représente-t-il pas l'objet a, sur son versant réel car infiltré par le signifiant maître absolu, la mort ? Objet a cause du désir de cette femme et de sa parole ? N'est-elle pas là au plus près de son propre réel, déstabilisée par l'accident mortifère de son mari ? Nous apprenons qu'elle a utilisé un subterfuge devant la stérilité de l'homme pour ne pas être répudiée et ainsi garder sa place. Elle se présente sous ses trois aspects : mère de deux filles dans une relation phallicisée, objet de désir de tous les hommes en s'inscrivant dans leurs fantasmes, démone et prophétesse parlant avec la voix de Dieu au regard du signifiant du manque dans l'Autre
Le moment de conclure : celui qui serait pour un analysant la fin de la cure, moment de détresse dans l'aperception du vide laissé par la chute de l'analyste en tant que semblant d'objet cause du désir du sujet, moment de néantisation de l'être, « déchirure » plus sensible sans doute chez une femme confrontée au réel de la structure subjective, moment de conclure dramatisé dans le livre où « la pierre de patience », « lithosophie » au lieu d'éclater comme prévue, se redresse, corps réanimé et ressuscité qui frappe et va anéantir cette femme qui paye ainsi le prix fort pour son désir. La fin tragique n'était-elle pas annoncée au détour du conte, insérée judicieusement dans la trame romanesque, conte raconté par son beau-père, le seul avec qui elle entretient des relations humaines : « un bonheur devra être payé par deux malheurs » et c'est de sa vie qu'elle paye, dette réelle, comme si la métaphore paternelle, faisant défaut, il fallait à tout prix faire taire une femme, à l'instar de l'empire romain où « les petits Néron » empoisonnent leur mère pour subsister. D'elle, nous ne savons pas le nom, ce qui accentue sans doute par cette écriture notre rapport au réel.
Un Goncourt mérité à notre avis, un livre à lire impatiemment qui fait écho à ce que dit Lacan : « Si la femme est un symptôme pour l'homme, l'homme est un ravage pour une femme ».