Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye

N'est-ce pas le style de Marie Ndiaye qui nous transporte sans lever le regard d'un bout à l'autre de son roman, phrases longues mais se reprenant par instants pour faire une pause, le temps de reprendre son souffle pour poursuivre de plus belle les méandres de l'écriture, tissage et mé-tissage entre deux continents ? Ou bien le thème même de son livre, ces « trois femmes puissantes », Norah, Fanta et Khady qui font un éclatant écho à notre monde contemporain où le « père-phallus » n'est plus que falot, qu'une « ombre bâclée à la six-quatre-deux » pour paraphraser le Président Schreber ? La puissance de ces femmes n'a pas le même effet quant au père, nous semble-t-il, celui qui représenterait l'autorité phallique, « celui qui a le bâton ».

Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye

N'est-ce pas le style de Marie Ndiaye qui nous transporte sans lever le regard d'un bout à l'autre de son roman, phrases longues mais se reprenant par instants pour faire une pause, le temps de reprendre son souffle pour poursuivre de plus belle les méandres de l'écriture, tissage et mé-tissage entre deux continents ? Ou bien le thème même de son livre, ces « trois femmes puissantes », Norah, Fanta et Khady qui font un éclatant écho à notre monde contemporain où le « père-phallus » n'est plus que falot, qu'une « ombre bâclée à la six-quatre-deux » pour paraphraser le Président Schreber ? La puissance de ces femmes n'a pas le même effet quant au père, nous semble-t-il, celui qui représenterait l'autorité phallique, « celui qui a le bâton ».

Le père de Norah, par exemple, est une caricature du patriarche, arriviste, macho, self made man, ayant presque, on le verra, le droit de vie ou de mort sur ses enfants, avec qui elle entretient une relation ambivalente d'admiration et de haine, elle, la fille qui n'a pas eu la reconnaissance de son père et qui est devenue avocate par son courage et sa ténacité. C'est cependant elle que son père, alors déchu par sa faillite et par l'âge, appelle à la rescousse pour sauver le fils cadet et aimé des affres de la prison : Sony s'est accusé à la place du père et sous son autorité, du meurtre de sa belle-mère, jeune femme que son père avait prise pour nouvelle épouse, dont il était tombé amoureux et à qui il avait fait deux enfants. Fils aimé et admiré du père, docile à son désir, c'est sous le toit de son père qu'il a pu mener une vie d'homme avec sa belle-mère, relation, bien entendu incestueuse. N'est-ce pas pour cela d'ailleurs, qu'il se laisse emprisonner à la place du père sans mot dire ? Mais Norah ne l'entend pas de cette oreille ; elle veut la Vérité du crime : il s'agit pour elle de sauver le frère-victime des pattes du père monstrueux grâce à la notoriété du droit et à son talent. Il ne s'agit pas là de l'alliance fraternelle contre le père de la horde, mythe freudien qui évoque la naissance de la civilisation, écho du point zéro de la structure symbolique, mais de désavouer le père à l'aide du droit, de désavouer sa place. Pourtant n'est-elle pas près de lui sur l'une des branches du flamboyant ce qui lui a permis, peut-être, de restaurer en son compagnon l'autorité phallique auprès des deux enfants ? Inspiratrice de son compagnon semble-t-il en s'étant déplacée quelque peu mais pas assez pour que son père endosse la responsabilité du meurtre ?

Si l'histoire de Norah nous laisse un arrière-goût amer, celle de Fanta, la deuxième héroïne, force notre admiration à reconstituer la force vive de son mari lui aussi déchu de son poste de professeur de littérature, en occupant, nous semble-t-il, une place bien particulière qui lui aura permis de lui faire faire tout un parcours signifiant où la trace d'un double meurtre est enfin parlée et symbolisée. Fanta, elle-même déchue de sa notoriété professorale en s'expatriant vers la France, va sans doute œuvrer dans l'ombre, comme une véritable muse, pour redonner une place honorable au père de son enfant, Djibril, tant socialement qu'au creux du couple.

Notre troisième héroïne, Khady Demba, dont le nom nous est donné dès la première histoire, se heurte à la reconnaissance impossible de son désir par un Autre, Autre que maternel (et même grand-maternel) : en effet, élevée par sa grand-mère, seul être accueillant et bienveillant à son égard qu'elle retrouvera d'ailleurs à la fin de son parcours sous le substitut de la mère maquerelle, elle tentera en vain d'avoir un statut de mère auprès d'un mari doux mais inconsistant, tant et si bien qu'après la mort de ce dernier, sa belle-famille la renverra chez sa cousine Fanta, en France, pays qu'elle devra rejoindre clandestinement. Elle terminera sa vie sous les balles des gardes frontière, accrochée à des barbelés, sans avoir pu, malgré sa hargne de vivre, trouver un point d'appui stable dans l'Autre. Elle aussi, aura permis à un homme de passage - Lamine - qui lui vole ses économies, de passer la frontière pour s'établir en France selon son propre vœu.

Ces trois destins féminins, ne s'articulent-ils pas dans les trois registres lacaniens, de l'Imaginaire pour Norah, du Symbolique pour Fanta et du Réel pour Khady ? N'y a-t-il pas malgré tout chez elles, cet appel, cette recherche que la place vacante du père fonctionne pour elle-même et leurs enfants ?

Nous rendons hommage à la quatrième femme puissante, l'auteure elle-même, pour nous avoir ouvert, au travers du tissage de son écriture, ces quelques remarques.