Le film de Sylvie Blum questionnant Charles Melman est remarquable de sobriété et d'élégance quand bien même on ne peut pas ne pas penser - au moins quelques secondes - à l'abécédaire de Gilles Deleuze sollicité en son temps par Claire Parnet. Melman laisse ici filer une parole tranquille et précise, d'une clarté dont la simplicité apparente seulement n'a d'autre effet que de capter l'attention de l'auditeur spectateur.

Le film de Sylvie Blum questionnant Charles Melman est remarquable de sobriété et d'élégance quand bien même on ne peut pas ne pas penser - au moins quelques secondes - à l'abécédaire de Gilles Deleuze sollicité en son temps par Claire Parnet. Melman laisse ici filer une parole tranquille et précise, d'une clarté dont la simplicité apparente seulement n'a d'autre effet que de capter l'attention de l'auditeur spectateur. Le dire n'est pas abscons, qui évoque les aléas du petit sujet contemporain (petit parce que le recul de la parole laisse cette impression là) aux prises avec lui-même et la réalité mondaine ; il n'est pas non plus précieux  mais vise un dire qui parle à qui veut bien entendre ou voir. Dans quel monde vivons nous ? Qui est l'Autre ? Qu'est-ce que cet objet cause du désir ? Autant de questions sans cesse remises sur le métier, tissées chaque jour et métissées dans la rumination presque joyeuse d'une voix que l'on écoute volontiers dans sa cuisine ou son bureau, à l'heure du café voire du thè ou du potage. Le propos mobilise chez l'auditeur une oreille encline à la bienveillance. Le visage du questionné nous fait face, sur l'écran, il suffit de temps en temps de relever le nez, jeter un œil sur la gamelle du chat, le planning des cours, la clé du voisin ou la tasse vide sur le bord de l'évier. Et la voix continue dans le bureau, dans la cuisine. Pourquoi l'absence, l'angoisse, la dépression, la perversion, la castration, la mort, la violence, le mal et stoppons là. La famille y passe, aussi, le père, la mère, l'ado, l'homme, la femme, le non rapport et le mystère, le sien à elle. Voilà d'ailleurs qui donnerait envie d'entendre ce qu'elles pourraient avoir à dire, elles - dis-je. Et pourquoi encore si peu de femmes, femmes analystes entends-je ici , enclines à parler ? Durant deux heures le timbre de la voix s'épand, s'étend, limpide comme une eau dont la source a beaucoup voyagé. L'homme et la voix portent la marque de l'expérience, « le cours torrentiel de l'expérience » selon l'expression d'Henry James : il suffit de se laisser porter. Le film à l'instar du propos est sympathique, à moins que ce ne soit l'inverse, sans apprets superfétatoires. On peut le voir ce visage ou mieux l'entendre, cette voix qui parle ailleurs du tissage - voilà que je fais le lien, que je tisse une trame assez singulière à l'instant - tout en vaquant à mes occupations. L'on souhaiterait volontiers, en effet,  pouvoir démentir le propos d'un penseur trop tôt désespéré qui écrivait : « Ainsi se perd le don de prêter l'oreille et de ceux qui prêtent l'oreille la communauté disparaît. On ne raconte jamais d'histoires que pour qu'elles soient répétées, et l'on cesse de narrer dès que les récits ne se conservent plus. S'ils ne se conservent plus, c'est qu'on a cessé, en les écoutant, de filer et de tisser. Plus l'auditeur s'oublie lui-même, plus les mots qu'il entend s'inscrivent profondément en lui. Lorsque le rythme du travail se rend maître de lui, il prête l'oreille aux histoires de telle façon que de lui-même le don lui advient de les répéter. Ainsi se tisse le filet où repose le don narratif ». Ainsi, poursuit l'auteur pessimiste, « voyons nous aujourd'hui se défaire de toutes parts ce réseau qui s'était constitué, il y a plusieurs millénaires, dans les plus anciennes formes d'artisanat ». Que lui répondre, à huit décennies de distance ? Foin des bocks et de toute désespérance, il faut comme qui dirait, déjà « pousser la langue jusqu'à ce qu'elle bégaie  » et ne pas oublier de reprendre haleine.