« Résilience » est un signifiant que nous entendons de plus en plus fréquemment dans les discours médicaux, psychiatriques, psychologiques, éducatifs. Un livre récent paru sous la direction de Boris Cyrulnik et Philippe Duval, Psychanalyse et Résilience (Editions Odile Jacob), nous permettra peut-être d'y voir un peu plus clair dans ce ‘‘nouveau'' concept qui envahit de plus en plus les sciences conjecturales.

« Résilience » est un signifiant que nous entendons de plus en plus fréquemment dans les discours médicaux, psychiatriques, psychologiques, éducatifs. Un livre récent paru sous la direction de Boris Cyrulnik et Philippe Duval, Psychanalyse et Résilience (Editions Odile Jacob), nous permettra peut-être d'y voir un peu plus clair dans ce ‘‘nouveau'' concept qui envahit de plus en plus les sciences conjecturales.

A en croire le dictionnaire, c'est un terme d'origine anglaise d'abord utilisé dans le domaine scientifique et apparu au XIX ème siècle. Voici sa définition : « Rapport de l'énergie cinétique absorbée nécessaire pour provoquer la rupture d'un métal, à la surface de la section brisée. Elle s'exprime en kgm/cm2 et caractérise la résistance au choc ». L'application d'un concept des sciences physiques aux Sciences Humaines n'est pas nouveau ni en soi critiquable. Nous savons bien que Freud s'est servi de la thermodynamique pour ses topiques, à la différence cependant, comme le fait remarquer Lacan à plusieurs reprises dans ses séminaires, que dans un système thermodynamique, il y a de l'entropie donc une perte d'énergie et c'est dans cette perte que l'on peut évoquer le sujet de l'inconscient. (Voir par exemple p.65 de l'Envers de la Psychanalyse, Editions de l'ALI, hors commerce). Freud, comme Lacan, ont tenté en vain de faire de la psychanalyse une science du fait que  l'expérience analytique n'est pas reproductible à l'identique comme l'exige l'expérience scientifique. C'est ce rapport au Réel en tant qu'impossible qui est à notre avis différent dans l'un et l'autre cas : si l'un le prend en compte, l'autre tente de ‘‘l'ignorer'' une fois la formule posée.

Mais, revenons à nos moutons et à notre résilience où l'on voit mal dans le concept scientifique la déperdition relatée ci-dessus. Appliquée aux Sciences Humaines comment s'exprime-t-elle ? Les définitions sont plurielles et nous allons en donner quelques-unes prises au sein de ce livre précité p.7 : « Résistance aux chocs et capacité à se développer normalement en dépit de circonstances adverses ». Cette définition de James Anthony et Mickaël Rutter n'est pas appréciée par Boris Cyrulnik car, dit-il,  « un pervers, lui aussi, résiste aux chocs puisqu'il n'est pas touché et reprend son propre développement puisqu'il s'épanouit aux dépens des autres. » Boris Cyrulnik a une conception de la perversion bien particulière mais pouvons-nous entendre aussi que la dépendance aux autres pour s'épanouir est perverse (nous sommes très nombreux dans ce cas) et que l'indépendance serait un signe de bonne santé mentale, un moi autonome ajouterons-nous ! Mais passons sur cette première définition de la résilience pour en proposer une autre p.83 :  « La résilience est la capacité d'une personne ou d'un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l'avenir en dépit d'évènements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes  parfois sévères. » Un peu plus loin, p.86: « La capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement , de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui comporte normalement le risque grave d'une issue négative. » (risque mortifère « avec l'impression d'avoir été mort »). Dans ces deux dernières définitions proposées dans l'article de Marie Anaut, psychologue, professeur à l'université de Lyon, nous discernons mal la différence d'avec la toute première, celle dépréciée par Boris Cyrulnik. En tout cas, la toute dernière a été proposée par lui-même. Marie Anaut précise que « par le traumatisme, le sujet entre en résilience » p.87 et elle continue pour nous dire, p.88 : « En psychanalyse, on distingue trauma et traumatisme (Nous ne le savions pas.) Précisons brièvement que « le trauma indique l'exposition à des évènements aversifs (violence externe et effraction physique) alors que le traumatisme réfère à l'effet psychique résultant de la rencontre avec le trauma, lorsque l'énergie mobilisée pour s'adapter au trauma dépasse les capacités d'élaboration du sujet ».

Nous préférons quant à nous, ce que propose Charles Melman quand il parle de la névrose traumatique : « Ce type de subversion du fantasme se produit chaque fois que la rencontre avec l'Autre n'est pas médiatisée par un père » (JFP N°1 sur le traumatisme). Elle fait référence à la structure signifiante du sujet et ne reste pas cantonnée dans un registre imaginaire et réel même si c'est le Réel qui vient faire irruption dans ce cas-là. Outre cette classique névrose traumatique, nous savons que la rencontre première avec le sexuel est toujours traumatisante pour un sujet, comme le dit Freud, dans un « après-coup ». Par ailleurs, nous savons aussi que la constitution d'un sujet se fait par la prise « traumatisante » dans le langage qui dénature notre rapport au corps et institue ce que J.P. Hiltenbrand a appelé « la grande déchirure » dans sa conférence du 19 janvier 2007 à Chambéry.

Si nous reprenons la formule de Marie Anaut « que par le traumatisme le sujet entre en résilience », pourrions-nous dire que cette « résilience » entre en jeu dès ce début traumatisant et par la mise en place du sujet du désir ou (et) de symptômes névrotiques. Ne nous méprenons pas sur le « sujet » dont parle Marie Anaut, il n'a rien à voir à notre avis avec le sujet lacanien ($) qui correspond à la coupure signifiante, place intenable comme le rappelle J.P. Hiltenbrand dans la même conférence. Le sujet dont elle parle est en fait le moi, l'instance imaginaire, « projection d'une surface » (Voir Essais de Psychanalyse, 1981, Petite Bibliothèque Payot, p.238) comme l'entend Freud et c'est bien en référence à cette instance moïque que s'articule cette « résilience » dont on veut nous faire passer la pilule. D'ailleurs, ce qui fait énigme pour les tenants de ce concept, ce sont les réactions très diverses des sujets qui subissent le même traumatisme : certains vont être affligés et se fixer au trauma en position victimaire tandis que d'autres vont « entrer en résilience » pour se rétablir plus ou moins rapidement. C'est ce phénomène qui les fascine et les références à « l'ego psychology » ne manquent pas: la partie saine du moi qui résiste, les mécanismes de défense du moi d'Anna Freud, etc... Certes, comme le dit notre collègue Lionel Bailly (p.233), il vaut mieux être engagé dans ce processus que de rester cloué au pilori mais on a l'impression parfois (fausse ?) d'entendre une injonction surmoïque telle que : « fais un effort, sois résilient », tout ceci s'adressant alors à la partie saine du moi, bien sûr !

Il serait injuste de dire qu'il n'y ait pas de référence au langage et à la parole. Boris Cyrulnik, dans un livre précédent Un merveilleux malheur (Odile Jacob-Poche p.19, 20, 21) évoque une figure de rhétorique qu'est l'oxymoron (association de deux termes antinomiques) pour « décrire le monde intime de ces vainqueurs blessés ». Il ne s'agit pas ici de partir du langage et de sa structure, d'aller du connu vers l'inconnu comme le recommande Lacan pour éviter l'obscurantisme mais de « décrire » par le langage en tant qu'instrument ces phénomènes. Au chapitre II p.105 de la même oeuvre « soleils noirs sans mélancolie », l'idée est la même, nous semble-t-il, utiliser le langage, la parole, l'écriture sans considération pour son effet de structure. Ainsi, nous dit-il : « Tous les chagrins sont supportables si on en fait un récit » ce qui n'est pas toujours le cas pour certains (Primo Levi, par exemple). L'abord du langage par Boris Cyrulnik lui fait rater l'effet de structure du signifiant : l'article de Freud « Sur le sens opposé des mots originaires » (p.47de L'inquiétante Etrangeté NRF) l'aurait, peut-être, mieux inspiré que l'oxymoron.

Une autre remarque que nous ferons et qui rejoint la précédente est l'application de l'éthologie à l'homme. L'homme est un animal, c'est bien connu, ayant en commun 98% (et plus) de son capital génétique avec le singe. Qu'est-ce qui le différencie si ce n'est la question du langage et en particulier du signifiant par rapport au signe. Ici encore, la finesse de Boris Cyrulnik manque son but même s'il cite Lacan (p.12 de Psychanalyse et Résilience) pour appuyer sa référence à l'éthologie animale dont Lacan parle par rapport au « stade du miroir » (Ecrits Seuil, p.93). Cette référence fait surgir pour lui « le tuteur de résilience », coach et compagnie pourrait-on ajouter, rien du sujet ($) mais le renforcement du moi. De plus, c'est la théorie de l'attachement de John Bowlby qui est à l'honneur déterminant selon lui un « non-conscient » et pas un inconscient. Nous lui suggèrerons là encore de relire la lettre 52 de Freud (ancienne numérotation) à Fliess où il distingue la perception, la conscience, des signes de perception et de l'inconscient (p.154 dans Naissance de la Psychanalyse PUF.1979).

Pour conclure, nous dirions que la résilience n'est pas un concept psychanalytique et qu'elle vient masquer la structure du sujet déterminée par les signifiants de l'Autre. Elle reste donc côté signe et fait référence à « l'ego-psychology » américaine. Il n'est pas étonnant qu'actuellement elle fasse fureur sur la place publique qui préconise un « moi autonome ». « Elles gagneront » aurait dit Lacan en voyant les multiples coupoles cléricales à Rome ; nous pourrions en dire de même de la « résilience » ce qui n'empêche pas la psychanalyse de faire entendre un autre son de cloche.