...si l’hystérie demeure notre compagne privilégiée, même si son nom est rayé des nouvelles tablettes cliniques et sa symptomatologie diffractée, il semble que les manifestations phobiques et la névrose phobique soient en nombre croissant dans la demande de nos patients. Qu’est-ce que nous pourrions en dire dans la perspective de ces journées concernant le refoulement ?

Je suis parti de l’article de Christiane Lacôte que vous trouverez dans le n° 2 de la Revue Internationale La clinique lacanienne, article qui s’intitule Fréquences Phobiques ou l’Hystérique ne fait plus son métier. Métier à tisser s’entend, dont le tissage particulier de notre époque lui fait se demander s’il n’y aurait pas un « virage phobique » plus intense dans son appréhension clinique. Je la cite : « qu’il n’y ait pas de vrai maître, proposition hystérique, puisqu’elle le destitue en même temps qu’elle le promeut, ne conduit plus à un anarchisme révolutionnaire mais à un profit individuel avidement programmé. L’Hystérie avait le mérite traditionnel de faire une sorte d’alchimie subjective où la jouissance de l’objet ne suffisait pas, renvoyant à un au-delà phallique. Cet au-delà est dévalorisé, mis au rang du consommable. Il revient sous la forme du monstre violeur ».
Christiane Lacôte insiste donc dans cet article sur le « consommable » et la prise, la « captivation » du sujet hystérique par le discours capitaliste ce qui expliquerait les « fréquences phobiques ». En effet si l’hystérie demeure notre compagne privilégiée, même si son nom est rayé des nouvelles tablettes cliniques et sa symptomatologie diffractée, il semble que les manifestations phobiques et la névrose phobique soient en nombre croissant dans la demande de nos patients. Qu’est-ce que nous pourrions en dire dans la perspective de ces journées concernant le refoulement ?
Cette croissance de cette « fréquence phobique » nous conduit à constater que sa clinique reste la même avec des tableaux aux tons  monotones pour un même patient. Ce qui n’est pas le cas si on considère la symptomatologie hystérique qui a largement changé au fil du temps, changeante aussi pour un même sujet. Par contre, le cristal de la structure demeure le même pour chaque névrose comme le démontre Jean-Paul Hiltenbrand dans son article Un texte en quête de lecteur ? (Revue Lacanienne n° 1).
Comme vous le savez, Freud l’a considérée très tôt comme une entité clinique à part entière, différenciant la névrose d’angoisse de la neurasthénie puis la phobie des obsessions et ce, dès 1895. A cette époque, il fait dériver l’angoisse d’un défaut de satisfaction libidinale dû soit au refoulement (substitution d’une représentation à une autre), soit à des pratiques sexuelles tel le coïtus interruptus. Nous aurons à y revenir ultérieurement pour tenter d’éclairer  les choses. Pour Lacan, il a repris pas à pas en 56-57 lors de son séminaire La relation d’objet et les structures freudiennes, l’analyse du petit Hans, Herbert Graf, en nous en montrant de nombreux linéaments et nous démontrant sa structure particulière et l’aménagement qu’il trouve dans le registre imaginaire. Si à cette époque, il en faisait une névrose à part entière, il a par la suite repris cette question et changé sa pensée pour dire dans le séminaire d’Un Autre à l’autre du 7 mai 1969 que « la phobie est une plaque tournante » pouvant ainsi évoluer vers les deux névroses classiques, hystérie ou obsessionnelle ou bien vers une perversion du fait que l’objet phobogène puisse s’inverser et devenir objet fétiche. Quelques années avant, en 1963, dans l’unique leçon du séminaire des Noms-du-Père,  il dira : « Il n’est pas vrai que l’animal paraisse comme métaphore du père au niveau de la phobie, la phobie n’est qu’un retour de quelque chose d’antérieur, ce que disait Freud en se référent au totem ». Nous reprendrons tout à l’heure ce passage assez énigmatique de Lacan. Cette variabilité dans la pensée de Lacan à propos de la phobie n’a pas à nous étonner nous dit Jean-Paul Hiltenbrand dans sa conférence de 2003 : Il existe une certaine malléabilité de la structure d’où sa fréquence plus ou moins grande selon le contexte social de l’époque. Jean-Paul Hiltenbrand maintient quant à lui cette entité clinique à part entière ce que sont d’ailleurs les conclusions des journées de 1989 qui ont eu lieu sur ce thème.
Après ce préambule, nous essaierons de donner une définition de la phobie en empruntant ses linéaments à Jean-Paul Hiltenbrand : « une phobie consiste dans le surgissement d’une angoisse déclenchée pour une situation définie, toujours la même pour un patient ». Bien entendu, l’angoisse n’est pas le symptôme et Freud s’interroge longuement dans Inhibition, Symptôme, Angoisse (PUF) sur ce qu’est ce symptôme et son mécanisme.
Revenons un peu en arrière et y examinons ce que dit Freud en 1895 à propos de cette névrose d’angoisse qu’il veut différencier très justement des autres névroses. Je le cite : (p 21 Névrose Psychose et Perversion PUF) « Dans les phobies de la névrose d’angoisse, 1°) L’affect est monotone, toujours celui de l’angoisse ; 2°) Il ne provient pas d’une représentation refoulée (…). Le mécanisme de la substitution ne vaut donc pas pour les phobies de la névrose d’angoisse ». Un peu plus loin, p 22, il ajoute que, malgré tout, « dans ce qui est à l’origine une simple phobie de la névrose d’angoisse, au contenu de la phobie se voit se substituer une autre représentation, la substitution s’ajoutant après-coup à la phobie ». Les exemples qu’il donne à la suite de son commentaire ont trait à la névrose obsessionnelle. À constater, semble-t-il, que Freud ici est embarrassé et hésite entre une entité clinique à part entière et une possibilité de passage à une autre névrose. Tout ceci n’est pas très clair : Cependant, l’origine sexuelle est pour lui incontestable mais c’est un mécanisme particulier, sans substitution. Après la deuxième topique dans son ouvrage Inhibition, Symptôme, Angoisse, il revient longuement sur cette question en reprenant l’analyse du « Petit Hans » et accessoirement de « l’homme aux loups ». Il nous dit (p21) : « un seul et unique trait en fait une névrose, la substitution du cheval au père. Ce déplacement produit ce qu’on a le droit d’appeler un symptôme (…) (sinon, ce ne serait pas une névrose) une circonstance rend possible ou favorise ce déplacement : la facilité avec laquelle les traces innées de mentalité totémique peuvent encore, à cet âge tendre, être activées ». Un peu plus loin (p 25) il nous dira qu’en fait « il s’agit chez Hans d’un processus de refoulement qui porte sur à peu près toutes les composantes du complexe d’Œdipe, sur la motion hostile comme sur la motion tendre à l’égard du père et sur la notion tendre envers la mère (...). Au lieu d’un seul refoulement, nous en avons une quantité et par-dessus le marché, nous avons affaire à la régression c'est-à-dire que la motion pulsionnelle orientée vers la génitalité a subi une dégradation régressive réelle dans le ça vers l’organisation orale sadique » : Pour le dire autrement en se référant à Lacan, le sujet va réutiliser dans la régression les signifiants de la sphère intéressée, ici la sphère orale avec cette attente anxieuse pour le « Petit Hans » d’être mordu par le cheval. Comme vous le savez, Freud va procéder à cette époque à un renversement théorique : « Ici, c’est l’angoisse qui produit le refoulement non pas, comme je l’ai pensé jadis, le refoulement qui produit l’angoisse. » (p.27).
Vous voyez, les choses sont un peu plus compliquées que de prime abord et je m’excuse si cela vous apparaît quelque peu obscur. Bien entendu, il ne s’agit pas d’obscurantisme pour Freud ni pour Lacan mais d’introduire une certaine logique dans tout cela et pour ne pas être dans l’obscurantisme comme le dit Lacan, partons du langage et de sa structure.
Jean-Paul Hiltenbrand, dans sa conférence de 2003, nous dit « qu’il n’y a pas de véritable processus de refoulement » dans la phobie. Freud, lui, parle de « substitution de l’animal au père par déplacement ». Effectivement, nous aurions là une substitution signifiante de type métonymique et non métaphorique ce qui se passe dans l’hystérie après le fameux trauma sexuel. A ce propos, Charles Melman, dans son livre, Les Nouvelles Études sur l’Hystérie (p.289) nous dit que le sujet est conduit à récuser le Signifiant Maître ce qui fait écho à mon sens à ce que Lacan évoque dans L’envers de la psychanalyse (p.108 Éd. ALI) « car on parle à propos de l’hystérique de complaisance somatique », encore que le terme soit freudien ; ne pouvons-nous pas nous apercevoir qu’il est bien étrange et que c’est du refus du corps qu’il s’agit à suivre l’effet du Signifiant Maître ? » Cette récusation du Signifiant Maître semble prouver que son inscription ait eu lieu pour le sujet dans l’Inconscient, Signifiant qui fait retour de façon énigmatique dans le corps. Il me semble que dans la phobie il y a au contraire un appel à cette inscription pour le sujet, appel bien entendu ambivalent ce qui est justifié à la lecture du Petit Hans qui sollicite son père, qui l’appelle à faire son boulot. Dans la phobie, le symptôme ne s’inscrit ni dans le corps ni dans la pensée mais dans le champ de la réalité. Après la première crise d’angoisse qui en général panique le sujet, c’est dans un temps second que ce dernier va régir son espace, le borner et éviter ainsi tout nouvel accès d’angoisse. C’est ce qui arrive au « Petit Hans » quand survient sa première crise d’angoisse : il est allé se promener avec sa mère et demande de revenir au plus vite à la maison mais il ne peut rien en dire quand on l’interroge. Ce n’est que le lendemain qu’il avoue : «J’ai peur que le cheval ne me morde ». Cette première crise anxieuse est donc déterminante pour un sujet quant à la suite qu’il en donne. « Si l’angoisse n’est pas sans objet comme le dit Lacan (D’un Autre à l’autre p.289 Éd. ALI) c’est ce quelque chose dont l’angoisse est signal dans le sujet et ce pas sans ne le désigne pas cet objet mais le présuppose ». Cet objet qui se profile à l’horizon et déclenche le signal d’angoisse est ce que Lacan nomme l’objet a, objet qui est non spécularisable, donc non appréhendable dans le champ de la réalité. Le phobique réalise lui ce pas sans en objet phobogène, celui-ci bien cernable, point de repère de son espace tels les cailloux du Petit Poucet. Ainsi, de l’angoisse il passe à la peur en transformant l’objet mystérieux en signifiant, « signifiant qui fait peur » comme dit Lacan, qui fait signe et signal pourrait-on ajouter. N’y a-t-il pas là « saut de la lettre, donc du Réel au signifiant » (expression de Jean-Paul Hiltenbrand  dans un de ses séminaires anciens). Le phobique s’aménage un semblant qui fait peur et c’est l’angoisse de castration comme le montre Freud, qui est promue ici. Peut-on parler de métonymie dans ce passage comme je l’ai dit ci-dessus ? Dans Radiophonie (séminaire L’envers de la Psychanalyse p.282, 283, 284 Éd. ALI) Lacan reprend cette question de la métaphore linguistique et de la condensation  freudienne puis celle de la métonymie et du déplacement freudien : « L’effet de condensation est lié à un refoulement qui part de l’impossible à concevoir comme limite d’où s’instaure par le symbolique la catégorie du Réel et ceci est à différencier de la métaphore poétique qui peut se faire ou se défaire. La métonymie, elle, ce n’est pas du sens d’avant le sujet qu’elle joue soit de la barrière du non-sens, c’est de la jouissance où le sujet se produit comme coupure, qui lui fait donc étoffe, mais à ce que la jouissance se réduise à une surface corporelle, ce qui soi-même est le fait du signifiant ».
Je vous laisserai méditer à tête reposée ces citations mais je me suis demandé quant à moi si, justement, la phobie n’était pas mise en place pour éviter cette jouissance catastrophique, quasiment incestueuse de l’Autre du fait que son désir n’a pas trouvé par la métaphore paternelle, tout le lestage nécessaire pour sa réalisation. Je pense que nous serons tous d’accord avec Freud et Lacan que la métaphore paternelle est bancale et que Hans trouve sa ‘‘guérison’’ en prenant appui dans le registre imaginaire à défaut du symbolique ce qui a fait dire à Lacan dans l’unique leçon des Nom-du-Père) que « la phobie n’est que le retour de quelque chose d’antérieur, ce que disait Freud en se référent au totem ». C’est juste après que Lacan évoque le bélier primordial qui se rue sur la scène du sacrifice d’Abraham pour demander son lot de jouissance jusqu’à ce qu’il soit désigné par celui dont le Nom est imprononçable pour être sacrifié à la place du fils. « Ici se marque le tranchant, ajoute Lacan, du couteau entre la jouissance de Dieu et ce qui, dans cette tradition, se présentifie comme son désir. Il y a ici mise en valeur de la béance qui sépare le désir de la jouissance et c’est là où naît la loi de la circoncision qui donne comme signe de l’Alliance du peuple avec celui qui l’a élu, ce petit morceau de chair ». Vous vous rappelez que dans son séminaire La relation d’objet et les structures freudiennes, c’est sur le cheval qu’il s’était beaucoup interrogé.
Dans la phobie, le processus du refoulement est en défaut dans le sens où nous voyons se profiler dans la réalité des figures angoissantes, violentes, piquantes, dévoratrices, engloutissantes même s’il y a refoulement originaire réel comme le dit Charles Melman : le manque dans l’Autre, la marque inhérente à la physiologie du langage (voir les chaînes de Markov) a été interprété phalliquement comme le dit Charles Melman. Le représentant de la représentation freudien serait à mon avis en place (voir la leçon du 15 Mars 1990 de Charles Melman) mais le Nom du Père non opératoire sinon il serait difficile de comprendre que l’angoisse phobique est une angoisse de castration. Mais c’est le deuxième temps logique, le pacte symbolique avec le NOM qui n’est pas correctement inscrit, qui est boiteux ou dont l’opération suspendue n’a pas induit une perte en place du manque. Dans cette conjoncture, l’objet a regard n’est-il pas privilégié pour cette perte d’autant que sa « chute est égale à zéro » comme le rappelle Lacan (voir séminaire XI). Aussi c’est le registre imaginaire et le refoulement imaginaire en mettant un regard dans l’Autre qui tenterait de stabiliser la structure, en vain car ce regard, non médiatisé par le Nom-du-Père, provoque l'angoisse. Tout ceci évoque la difficulté actuelle de cette mise en place et la recrudescence  de ces névroses qui malgré tout font écho au discours paritaire comme Jean-Paul Hiltenbrand le faisait remarquer dans sa conférence puisque ce sont des sujets en mal de situation tant spatiale que dans leur position sexuée : s’ils sont en marge du commerce phallique, peut-on les situer dans cet entre-deux, ni du côté mâle, ni du côté femme ? Le phallus imaginaire auquel ils sont confrontés ne détermine pas de différence sexuée et c’est plutôt une « relation de compagnonage » qui s’instaure avec l’autre comme l’évoque Charles Melman (P. 140 La Phobie 1989).
Une jeune femme me parlait un jour de son souci d’être équitable tant avec son compagnon qu’avec tous ses ami(e)s, et elle en avait beaucoup. Difficile d’être pour elle avec l’un, amoureuse, sans être avec l’autre, amicale. Elle est aimable, écoute ses camarades mais ne revendique pas un retour mérité. Intelligente, elle réussit brillamment dans ses études. Par contre le « goût de la chambre » lui déplaît : c’est ce lieu qui l’angoisse, il y aurait quelqu’Un qui pourrait... quoi ? Ce un est intrusif, violent, cruel, la faisant se réfugier dans la chambre du frère voire de la mère. La tortue, elle, est tranquille : Achille ne la rattrapera jamais, ils ne sont pas dans le même espace. Pourtant une femme en position féminine présente toujours cette touche phobique ce qui fait aussi les délices des films à suspens. C’est bien la division de l’espace connexe (le symbolique) déterminée par le signifiant Φ (signifiant de la castration) qui n’est pas effectuée complètement. (voir P. 222 du livre de Marc Darmon Essais sur la Topologie Lacanienne) Φ est le signifiant sans signifié mis en place par le Nom-du-Père et qui va diviser le symbolique en un espace fermé et l’Autre ouvert. Le Φ vient stabiliser le symbolique. L’espace Autre est vectorisé par Φ et S(A) barré.
Dans la phobie, c’est -ϕ me semble-t-il, qui rend instable le symbolique du fait de son registre Imaginaire et qui peut surgir à tout moment rendant cette  jeune femme dans l’impossibilité de dormir ou bien cette homme claustrophobe devant payer de toute sa personne le tribut à l’Autre, un Autre oppressant. Pour l’agoraphobe, cette instabilité du Symbolique dévoile l’objet regard angoissant et menaçant le sujet jusqu’à son évanouissement. La configuration de l’espace moderne joue aussi tout son rôle avec un point de fuite à l’infini non inscrit pour le sujet.
Nous pourrions penser que la science et son application, le discours technoscientifique pourraient pallier au vice structural. Mais sa tendance à suturer le Réel et forclore le sujet ne fait qu’accentuer le désarroi du parlêtre, ce dernier ne pouvant plus trouver sa place au champ de l’Autre. Autrement dit, le manque du manque ne peut que faire surgir l’angoisse et un de ses corollaires, la phobie. Ainsi, a-t-elle de beaux jours devant-elle mais nous pouvons nous demander comment la psychanalyse peut être prise en considération pour y répondre tant le discours social pousse à l’indifférenciation des places, la « mêmeté », à l’homoformalisme ?