Pour Freud, il y a un refoulement d'origine, c'est une nécessité car il faut un lieu pour recevoir les signifiants des pulsions qui sont refoulés. Un lieu qui n'est donc pas vide puisque va s'y trouver le refoulement originaire. À ce propos, nous verrons comment Lacan reprend cette question du lieu qui reçoit des signifiants comme étant le Réel.
Ce que le sujet est appelé à refouler originairement est d'ordre sexuel. Freud en rend compte cliniquement par la scène primitive qui est reconstruite mais jamais remémorée.
Dire qu'il y a un refoulement originaire c'est dire qu'il y a de l'inconscient qui est irréductible, qu'il est au départ et qu'il est d'ordre sexuel.
Nous pouvons dire que pour Freud le refoulement est une loi du langage puisqu'il est d'origine, quelque soit la participation du sujet. Lacan va développer les conséquences de cette conception du refoulement comme étant un effet du langage. Les refoulements ultérieurs du sujet que nous pourrions qualifier de symboliques, trouveront donc ce refoulement qui les précède que nous pourrions dire réel. Ces refoulements ultérieurs représentent ainsi l'exercice du refoulement par le sujet.
 Il y a une détermination symbolique majeure qui prescrit au sujet que ce qu'il ne faudrait pas, que ce qui doit être refoulé, c'est le sexuel, c'est le sexe lui-même et cette structure symbolique c'est bien sûr la religion. Nous pourrions d'ailleurs nous demander que devient le refoulement dans un monde sans Dieu ?
Alors pourquoi l'écrit du refoulement ? C'est une façon de nous interroger sur le fait que l'effet du refoulement c'est de l'écrit. Il y a du littéral qui s'écrit dans le Réel. Nous en avons le témoignage par la pathologie. Je vous rappelle par exemple le symptôme fétichiste du patient de Freud qui lit le symptôme, non pas dans la langue allemande Glanz, brillant sur le nez, mais dans sa langue maternelle, l'anglais, c'est-à-dire Glance, coup d'œil, regard sur le nez.
Nous en avons aussi le témoignage par le surgissement ou le manque d'une lettre de façon inattendue dans les propos d'un sujet alors qu'il ne faudrait pas. Lacan pourra dire qu'il n'y a de lapsus que calami, même le lapsus linguae.
Alors, comment un phonème, qui est quelque chose de transitoire, peut-il se fixer, se matérialiser sous la forme d'un cordon de lettres ? Est-ce que le seul fait du passage dans le Réel produit une matérialisation ?  Pourquoi pouvons-nous dire que l'inconscient c'est de l'écrit et qu'il est donc à lire, pourquoi ne serait-il pas à écouter ? Comment entendre cette remarque de Lacan que l'inconscient est structuré comme un langage qui doit faire une place à son écrit ?
Je vous propose donc d'aborder les choses à partir du refoulement comme étant un mécanisme du langage et à partir de notre propre rapport à ces mécanismes. Quand le sujet parle et qu'il refoule, il a le choix de ce qui doit chuter, le choix de la coupure, de ce qui ne doit pas être là. De ce fait le refoulement est soumis à notre rapport au langage mais aussi en prendra les voies. L'intérêt d'essayer d'en rendre compte est que ceci a des conséquences directes sur notre pratique car elle détermine notre conception du retour du refoulé et de l'interprétation.
Cela n'aura pas les mêmes conséquences si nous considérons par exemple que l'étoffe même de la langue est biface et qu'il faut franchir un bord pour aller de l'une à l'autre : dans ces conditions ce qui est perdu, ce qui est en dehors, est étranger. C'est une conception qui pousse à la paranoïa. Alors que si nous considérons, comme le permet la bande de Mœbius, que la lettre qui peut surgir ou manquer, a d'abord à chuter dans un lieu où il n'y avait pas de bord à franchir pour s'y retrouver, la conséquence sera que ce qui est en dehors, ce que j'ai cédé n'est pas étranger mais Autre.
Dans ce dispositif, du seul fait de parler ce qui est refoulé pourra faire retour, le refoulé et le retour du refoulé sont la même chose. Conscient et inconscient sont sur les mêmes côtés d'une même bande. De ce fait le refoulé est bien dans un autre lieu que le monde des représentations, mais du fait de sa topologie il va pouvoir adresser ses propres messages à ce monde des représentations.
La langue se nourrit ainsi de l'écrit, les japonais ont pu choisir comme écriture la langue chinoise, mais en retour l'écrit nourrit la parole. La topologie même du refoulement permet que nous concevions que la parole puisse se nourrir du refoulé et qu'il y ait donc un écrit dans la parole.
De la même façon, notre rapport au langage aura des conséquences sur notre façon de concevoir la question du refoulement et du sexuel. À ce propos, Lacan précise que le refoulement n'est pas dû à la répression sur le sexe mais qu'il y est malédiction sur le sexe et cela du fait même du langage. Ce qui fait que même une éthique du bien dire, comme l'est la psychanalyse, ne pourra pas revenir sur cette malédiction et la réduire, la transformer en bénédiction. Cette malédiction sur le sexe c'est l'impossible du rapport sexuel qui ne cesse pas de ne pas s'écrire. Il n'y a pas malaise, il y a un symptôme dans la civilisation, ce qui ne va pas ce n'est pas la répression sur le sexe par la famille, par la religion ou par le capitalisme, ce qui ne va pas c'est l'impossible du rapport sexuel à s'écrire. La répression n'est pas la cause du refoulement primordial mais sa conséquence ; elle concerne l'exercice du refoulement. La famille, la société, sont des fictions au sens de formations symboliques qui comme les mythes tentent de répondre à cet impossible à écrire, c'est-à-dire impossible à quantifier le rapport d'un homme et d'une femme. Comme nous avons commencé à le faire hier, nous pourrions nous demander si, aujourd'hui, le refoulement ne porte pas collectivement sur le non rapport sexuel.
Alors, parler de l'écrit du refoulement c'est dire que l'inconscient est organisé par la chute de la lettre et qu'il y a donc une matérialité de ce processus. Le sujet de l'inconscient ne parle pas mais il peut se manifester par cette matérialité c'est-à-dire par la lettre.
Pour la psychanalyse la vérité de l'être est du côté de ce qui est refoulé par le sujet et pas du côté de ce qu'il montre. La vérité n'est pas à chercher du côté de l'étant mais de l'être en tant que c'est ce que le  refoulement matérialise à cette place.
Dans son séminaire D'un discours qui ne serait pas du semblant Lacan définit le refoulement comme ce qui disqualifie, ce qui renvoie le discours comme représentant de la représentation, c'est-à-dire comme semblant, pour une suite de discours qui ne représentent plus une représentation mais qui se caractérisent comme étant un effet de la vérité.
L'effet de vérité n'est pas du semblant, il touche au Réel, alors que le semblant est le signifiant lui même. La justesse d'une interprétation ne se tranche pas comme vraie ou fausse comme le ferait un logicien mais par son effet de vérité c'est-à-dire par ses suites. Cette suite de discours qui ne représente pas une représentation n'est donc pas de l'ordre du semblant mais de l'ordre de l'écrit, l'écrit qui n'est pas du langage mais un effet du langage.
Je vais reprendre rapidement le processus du refoulement pour insister sur sa matérialité, avec la question que j'évoquais au départ : comment un phonème, un élément de la parole, peut-il du seul fait de chuter dans le Réel, devenir un écrit, se fixer comme un écrit ? Lacan allait jusqu'à avancer que cela répondait à un phénomène physique, que la lettre creuse le Réel, qu'elle fait trou dans le Réel.
Ce qui cause une difficulté puisque le Réel est alors peuplé de ces éléments littéraux qui ont chuté et à la fois nous pouvons dire qu'il est vide, que c'est ce que le symbolique ne peut pas réduire, que c'est ce qui résiste.
Quand nous avons une chaîne symbolique quelque chose en chute du seul fait que tous les éléments ne peuvent pas tenir ensemble. Lacan s'appuie sur les chaînes de Markov pour démontrer que dans une chaîne sonore, si nous faisons une césure à intervalles périodiques, certains phonèmes ne pourront par réapparaître à cet endroit, il y a de l'impossible.
Certains éléments se trouvent momentanément rejetés et ces éléments refoulés chutent dans le Réel, ils ek-sistent. Nous pouvons dire que c'est l'ek-sistence même du sujet. Ils sont inaccessibles directement.
Il y a donc un cordon littéral qui est organisé par le hors-sens, l'ab-sens et qui va attendre son écriture. Elle se fera par l'intermédiaire de la langue car l'inconscient ne connaît pas la coupure.
C'est la voix, en tant qu'elle présentifie le phallus, qui peut faire coupure et découper ce continuum littéral pour en faire des traits unaires, des Uns. Et ces éléments refoulés qui vont dans le Réel, pourront servir de support à un désir inconscient refoulé. Le support de l'objet cause du désir qui a été refoulé est donc littéral ce qui fait que le surgissement ou le manque d'une lettre peut témoigner de ce désir inconscient.
C'est une affaire de littéralité et pas de sens. C'est le point où l'analyste doit essayer de conduire l'analysant.
Quand le sujet invoque l'Autre afin qu'il réponde, il ne rencontre que l'écriture qui organise son fantasme. L'interprétation ne doit donc pas viser le sens, ce qui doit en être le principe c'est le respect des mécanismes du langage.
Et puis il y a la question de la sexualisation de ce refoulé qui peut faire retour. Melman fait la remarque qu'à partir du moment où ces éléments littéraux sont refoulés dans le Réel, ils deviennent ce qu'il appelle des molécules de libido. Le seul jeu métaphoro-métonymique du signifiant dans sa tentative de saisie de l'objet qui échappe toujours, permet que ces éléments littéraux soient érotisés. Ce jeu de disparition/réapparition s'apparentant au voilement/dévoilement du phallus, fait que la mise en place de la chaîne signifiante est elle-même sexualisée. C'est d'ailleurs ce que pensaient déjà les Grecs.
Alors est-ce que le lien entre la métaphore paternelle et le refoulement originaire est obligatoire puisque la mise en place du signifiant phallique dans l'inconscient vectorise la signification de toute la chaîne et que cette signification est d'emblée sexuelle, puisque le phallus est le signifiant de la jouissance sexuelle comme impossible, y a-t-il alors des signifiés qui échappent au phallus ?
La métaphore paternelle refoule le signifiant phallique dans l'inconscient mais est-ce que cela en fait le refoulement originaire ? En tous cas cela en fait l'agent de ce refoulement, c'est-à-dire que ce qui n'est pas dévoué à sa jouissance doit être refoulé.
Pour Freud c'est le surmoi, l'au-moins-un qui est l'agent du refoulement, un au-moins-un qui n'ek-siste pas du côté femme, c'est-à-dire qu'il y a un Un du sexe qui exige le refoulement et qui du même coup donne une signification sexuelle au signifié. C'est ce qui constitue aussi la névrose ordinaire, ce qui du même coup fait de la religion la névrose idéale, c'est-à-dire que ce qui ne conviendrait pas au niveau du sexe doit être refoulé. Par conséquent toute névrose qui se constitue à partir du refoulement sexuel est une religion privée.
Lacan le reprendra en disant que la religion est plus vraie que la névrose car elle dit que tous les discours parlent de Dieu, même le discours analytique, puisque Dieu est ce qui ek-siste, que c'est le refoulement en personne, que c'est la personne supposée au refoulement.
Si le lien entre la métaphore paternelle et le refoulement originaire n'est pas obligatoire, l'important de cette mise en place est qu'elle permet un nouage entre le refoulement originaire et le refoulement ultérieur, soit un nouage entre le Réel et le Symbolique.
Lors du dernier séminaire d'été, C. Melman proposait de considérer que ce qui donne signification du signifiant est moins la référence au phallus que ce que vous avez laissé tomber dans le choix du signifiant. Il donnait en exemple le fait que quand vous dites «  mon cher ami », si ce que vous avez coupé de votre propos est la haine, la haine pourra devenir le signifié du référent Un dans le Réel.
Le texte inconscient est un continuum littéral où chaque lettre fonctionne comme signe pour quelqu'un, signe commémoratif de la chute de cette lettre, ceci a des conséquences en ce qui concerne notre façon de concevoir la fin de la cure.
Pour Freud nous pourrions dire qu'elle consiste dans le passage de la névrose due au refoulement du sexuel à une névrose idéale, une névrose qui célèbrerait les devoirs phalliques.
Si nous prenons en compte que le refoulement est un effet du langage, nous pourrions considérer que l'analyste ne doit pas lever ce qui ne peut pas l'être puisque le refoulement originaire signifie qu'il y a un inconscient irréductible et de le dire ne le définit pas seulement comme impossible mais, ajoute Lacan, introduit comme telle la catégorie de l'impossible. Donc il n'y a pas pour l'analyste à lever ce qui ne peut pas l'être mais à donner accès à la seule façon dont s'exprime la vérité inconsciente, soit entre les lignes mais sans voix, sous la forme de messages codés ayant un support littéral qui s'offre au déchiffrement. Écrit qui est à lire pour pouvoir donner à entendre dans l'interprétation ce que cet écrit laisse entendre. Je vous renvoie au bel exemple que donne J.-P. Hiltenbrand de ce dessin d'enfant où les cœurs avec des ailes sont à lire pour faire entendre les querelles - cœurs ailes - entre les parents qui persistent malgré leur séparation.
À propos de l'actualité du refoulement c'est-à-dire le refoulement qui serait sous le coup de ce qui détermine notre époque. Nous pourrions nous demander si aujourd'hui le refoulement sexuel est moins exigé, alors où se porte-t-il ? Est-ce qu'il ne porte pas collectivement sur le non rapport sexuel lui-même, c'est-à-dire sur l'impossible ? Avec comme conséquence de ne plus avoir de référent pour fixer des limites.
La science refoule le savoir mythique, ce qui est privilégié ce sont les vérités numériques. Nous en avons une illustration avec la clinique de l'anorexie-boulimie qui a les chiffres comme référent d'une limite qu'elle n'arrive pas à établir. Cela peut être aussi le jeu avec les limites de la réalité et ce que l'on appelle les conduites à risques.
Le traumatisme n'est plus le trou-matisme sexuel comme le dit Lacan, il n'est plus de structure mais devient accidentel.
L'économie subjective sera alors réglée sur la présence ou l'absence de l'objet mais réel et non plus symbolique, avec dès lors la nécessité de provoquer le manque pour rétablir le désir. Économie qui règle toutes les addictions, ce qui explique que malgré leur catalogue, elles ne se définissent pas par leur objet mais de leur topologie. Si la référence phallique ne vaut plus, les pulsions ne seront plus refoulées. C'est l'objet qui prévaudra et non le signifiant.
Je ne développe pas plus toutes les conséquences que cela induit, simplement une dernière remarque : lors d'une émission à France Culture, quelqu'un disait à C. Melman, que du temps de Freud c'était le refoulement et qu'aujourd'hui c'était plutôt le défoulement, remarque avec laquelle il semblait d'accord.
Un dernier point, nous pourrions également nous demander si le grand intérêt que suscitent les victimes ne témoigne pas d'un refoulement collectif du signifiant-maître et ceci non seulement dans l'hystérie.
Je terminerai sur une remarque de Lacan que je ne commenterai pas aujourd'hui et qui dit que le refoulement originaire c'est notre horreur du nœud borroméen.