Nous héritons de plusieurs ouvrages de Freud consacrés au rêve et aussi de plusieurs commentaires sur la manière de déchiffrer le rêve et nous avons aussi plusieurs commentaires de Lacan sur certains rêves cités par Freud. Leur intérêt est de dénoter la fonction inconsciente et de révéler la structuration et les règles de formation du symptôme. C'est pour cette raison que Freud avait désigné, tout à fait au début de son travail, le rêve comme la voie royale d'accès à l'inconscient. Il reste que le cauchemar est en général peu examiné.
Entre 1895 qui est le début de la rédaction de la Traumdeutung, que nous traduisons par La signifiance du rêve, et la parution de cet ouvrage au début du vingtième siècle, en 1901, Freud était animé par le souci de démontrer, de fonder la nature de l'inconscient. Il n'est peut-être pas inutile de souligner que dans le contexte de l'époque, c'était une initiative que l'on peut qualifier de révolutionnaire, puisque dans la suite cette Traumdeutung a fait basculer toute la culture et la pensée humaine et ses faits sur le modèle de l'interprétation, à savoir que plus rien, à partir de ce moment-là, n'échappait à l'interprétation de la dimension inconsciente des faits et gestes de l'être humain. C'est ainsi qu'à partir de la publication de la Traumdeutung, la culture, l'activité humaine, les religions, tout cela est apparu dans un champ toujours dédoublé où derrière l'aspect apparent,  l'inconscient était censé régir la totalité de la raison humaine. Cette totalité consciente était organisée par un principe voilé. Ajoutons le comble, souvent oublié dans les commentaires épistémologiques, ce comble est que Freud affirmait que cette dimension inconsciente était dominée par une cause sexuelle, ce qui revenait à donner à ladite révolution freudienne un caractère scandaleux, confirmé d'ailleurs en 1905 lorsque Freud a publié les Trois essais sur la théorie de la sexualité où littéralement tout le corps médical s'est détourné de lui.

Dans l'après-coup, avec Lacan, nous sommes amenés à percevoir que le vrai bouleversement consiste à avoir mis en place, voire quasiment inventé l'homme de désir, le sujet du désir. C'est là la véritable nouveauté au début du XXe siècle et le remaniement culturel qui en a suivi : désormais l'homme, celui que nous désignons sous le terme de parlêtre, est un sujet historique dont l'histoire est celle de son désir. Ce désir que Freud a judicieusement lié au sexe, à la sexualité, Lacan, dans son retour à Freud en a étendu l'empire de l'individuel au politique. L'évolution de nos démocraties modernes, l'évolution de nos mœurs, quel que soit le jugement que nous pouvons porter sur ces évolutions, sont le produit du désir, d'un désir ici non plus seulement individuel mais collectif. De ce fait, bien entendu, nos mœurs sexuelles ont, elles aussi, considérablement évolué sans que les observateurs, les sociologues, les anthropologues, les démographes soient parvenus à identifier les causes précises de cette mutation. Le gain de liberté morale qui est généralement évoqué à ce propos est erroné : la clinique en démontre à chaque instant le caractère illusoire. L'homme de désir s'avance toujours plus profondément dans ses aliénations, comme le suggère aujourd'hui son quotidien. La psychanalyse trouve ici sa légitimité en proposant de lui en alléger le poids.

C'est dire que l'étude du rêve, réputé être l'Autre-scène du désir prend ici toute son importance. La découverte et le travail de Freud ont été de présenter le rêve comme le lieu privilégié où s'exerce cette lecture. Cette étude ou lecture n'a plus comme du temps de l'invention freudienne pour fin de démontrer l'existence de l'inconscient et de révéler la structuration du symptôme, elle a pour finalité de situer le désir et le sujet de l'Inconscient. Sujet de l'Inconscient qui est la partie inaperçue de la conscience et qui conserve toute son importance en ceci qu'il est en capacité, pour nous analystes modernes un siècle après l'invention, il est en capacité de mettre en jeu l'objet-cause du désir. En effet il serait vain de définir le sujet du désir si l'analyste se montrait incapable d'extraire du rêve l'objet-cause, puisque cet objet-cause finalement est le nerf de toute l'affaire et que Lacan, très tôt, a formalisé sous la forme d'un algorithme $ a, de lecture réversible en a$, le poinçon ◊ signifiant relation variable entre un sujet et sa cause.
C'est ainsi que, selon Freud, le rêve est l'accomplissement d'un désir différé. Le rêve se déroule suivant cette formalisation $ : pour le dire succinctement il se déploie dans le cadre d'un fantasme désignant son objet petit a, de manière plus ou moins allusive suivant le degré de censure ou de refoulement pouvant toutefois persister dans le rêve. Comme la plupart d'entre vous le savent, en étudiant le rêve, Freud a dû inventer avant les découvertes des linguistes de l'école de Prague que les rêves obéissaient aux règles de deux tropes : la métaphore et la métonymie qui sont également celles de la construction du symptôme et celles qui habitent notre langage spontané quotidien. À ces deux figures de style communes à tous les langages, il convient aujourd'hui d'ajouter d'autres processus comme l'anagramme (par exemple, un nom comme David Bowie, présent dans le rêve masque parfaitement : « avide de beaux vits » !) et l'équivoque signifiante, procédés utilisés régulièrement dans le travail du rêve pour marquer l'intention du sujet. Et c'est ainsi que Lacan en est venu à énoncer que l'inconscient est structuré comme un langage.

Pour illustrer cela, je citerai le rêve d'un patient en analyse depuis deux-trois ans et qui dans son rêve se trouve dans une salle de cours où a lieu une leçon de mathématiques. Les camarades interrogés vont au tableau et écrivent facilement leur démonstration. Lui-même, appelé au tableau, reste dans l'incapacité d'écrire sa démonstration. Il a honte. Le commentaire qui vient de ce patient est qu'il n'avait pas toujours été très brillant en mathématiques, mis à part cela, il ne voyait pas ce que venait faire ce rêve dans son analyse. Puis il reconnaît qu'il n'est pas toujours très clair avec « sa thématique » et que peut-être son analyse ne lui a pas encore permis d'en reconnaître la teneur alors que ces camarades de classe sont parfaitement à l'aise avec leur thématique. En effet il a identifié dans la classe certains de ses camarades ou collègues qu'il connaît de par les groupes de travail qui précisément appartiennent à l'institution qui s'appelle une école, une école de psychanalyse, titre qu'elle avait au départ pour la formation de nos collègues à Grenoble. Là aussi il se perçoit comme insuffisant et novice dans son travail avec eux, voire il en jalouse quelques-uns. Finalement il apparaît que ce rêve est une métaphore destinée à montrer qu'il cherche à acquérir une certaine compétence ou un certain savoir pour parvenir à devenir psychanalyste. Tout ce détour par le rêve pour dire que son souhait était de devenir analyste : le déchiffrage montre que le signifiant « ma-thématique » joue sur ce qu'il a perçu de sa cure quant à son histoire et à un savoir rigoureux de l'analyse qu'il souhaiterait atteindre. Il est possible de reprendre à notre gré le rêve de Freud qui s'appelle « Signorelli » pour apercevoir que ce rêve se décompose d'une façon extraordinaire, puisqu'en suivant les associations indiquées par Freud, ce rêve relativement complexe se révèle être truffé de métaphores et de métonymies qui opèrent sur un jeu de lettres très explicites dès lors que l'on se livre à une lecture un peu minutieuse. Je viens de vous présenter rapidement, succinctement, les points essentiels qui caractérisent le rêve et ce que la psychanalyse en retient de sa structure.

Une première question s'ouvre dès lors à propos du cauchemar, celle de savoir si nous devons entendre ce cauchemar, le déchiffrer et l'interpréter sur le modèle du rêve, c'est-à-dire essayer d'y décoder une forme de désir qui s'y manifesterait. Perspective qu'il n'est pas possible de s'interdire a priori au niveau de l'interprétation, alors que Freud a évoqué d'autres aspects :
- Le rêve-cauchemar du traumatisme dont il parle au début d'Au-delà du principe de plaisir : le cauchemar répétitif du traumatisme qui va lui permettre de conceptualiser la notion de répétition.
- Le cauchemar d'angoisse qui survient de temps à autre dans une cure.
- Le cauchemar lié à des scènes sexuelles jugées trop précoces, scènes vues, entendues, comme la scène primitive qui en est l'exemple central.
- Le cauchemar de l'échec du désir.
- Les cauchemars liés à des excès de plaisir ou de déplaisir.
- Bien entendu, les cauchemars qui reproduisent les phobies d'animaux, d'insectes comme nous en entendons chez l'enfant, des cauchemars liés à ces phobies premières qui ne sont pas des symptômes à proprement parler, qui sont simplement des phobies qui vont persister un certain temps dans l'existence.
- Les cauchemars récurrents qui viennent du fin fond de l'enfance et qui sont souvent des cauchemars abstraits.
- Le cas de figure particulier où le patient rêve qu'il fait un cauchemar.

Si j'insiste là-dessus c'est parce que cela montre bien que le cauchemar en tant qu'entité est quelque chose de tout à fait précis chez le sujet et chez le rêveur et qu'au-delà de son caractère souvent émotionnellement bouleversant, il s'agit pour nous d'en discerner la signification et d'en organiser le déchiffrage.
Pour revenir à Freud, il précise que le cauchemar représente un cas limite au regard de l'interprétation du désir. Cependant il signale qu'il peut s'agir d'un remaniement où l'intensité des motions pulsionnelles du désir doit être réprimée d'autant plus vigoureusement que les représentations de ces motions pulsionnelles menacent de s'exprimer par un déplaisir considérable (La signifiance du rêve, P. 416). Autrement dit, la présence du désir déclencherait un mécanisme de défense extrêmement intense comme on peut l'observer, par exemple, dans la névrose hystérique. Pourtant plutôt que de poursuivre là dans les généralités, je propose quelques exemples et puis nous verrons dans la suite de quelle manière nous aurons à tirer une leçon ou une manière de lecture possible parce que tout de même le cauchemar n'est pas exceptionnel dans les cures et nous ne pouvons pas éviter de les prendre en considération, ne serait-ce qu'en raison de leur fréquence et de leurs effets perturbants en ce qu'ils apparaissent à un moment particulier de l'existence ou de la cure.

Le premier que je proposerais est d'une grande banalité mais, a priori, totalement énigmatique. Il est récurrent justement depuis l'enfance, la plus haute enfance et il est inscrit dans le souvenir d'une patiente de trente-cinq ans environ : « Ma tête est étouffée par de la pâte à modeler. Je me débats et je me réveille ». Elle a demandé une analyse en raison d'un problème qu'elle ressent comme terrible : elle ne supporte pas d'être embrassée sur la bouche. Cela déclenche chez elle une réaction d'une extrême violence et comme elle vit avec un homme depuis plus de dix ans, ayant eu deux enfants, elle n'est jamais parvenue à dépasser son symptôme. Elle trouve cette réaction violente d'autant plus stupide qu'elle est attachée à cet homme et que sexuellement elle n'éprouve pas de problème. La bouche interdite, la tête étouffée : on perçoit quelques relations entre les deux avec la pâte à modeler. Allusion probable à une mère sévère qui n'a pas accepté son enfant comme fille. Et parce qu'elle est une fille sa mère s'est ingéniée à la modeler selon ses souhaits. La fille gentille et soumise, pour éviter les histoires, contrairement à sa sœur aînée qui s'était cabrée, notre patiente, bonne pâte à modeler, s'est tue et a étouffé son chagrin. Ce cauchemar montre bien, cependant, son désir oral bâillonné correspondant à son symptôme. Comme chez celui de la victime d'un accident, le cauchemar répète le traumatisme de sa relation à la mère. Mais de quoi est tissé le cauchemar justement ? Ici, il représente d'une manière étouffante le désir de l'Autre. De l'Autre, de l'Autre maternel d'abord et éventuellement de l'Autre de l'homme avec lequel elle vit.

Autre exemple : une jeune fille de dix-huit ans vivant avec sa mère divorcée, rêve qu'en se couchant, elle découvre l'horreur parfaite, une énorme araignée dans ses draps. La mère avait un compagnon avec lequel elle se disputait sans cesse. Elle vient de le congédier. Et la fille sait que dès que cet homme sera parti, les conflits avec elle vont reprendre. C'est à ce moment-là que survient son cauchemar. Ici encore, c'est la mise en scène de la représentation du désir sans limites de sa mère.
Ce qui se présente est une sorte de naufrage ressenti comme une impasse insoluble. Naufrage parce qu'il constitue un échec pour cette fille. Naufrage de sa relation avec sa mère et constat en même temps de son propre naufrage puisqu'elle se sent infiniment responsable de ne pas parvenir à se dégager de cette situation où elle subit les décrets de l'autre.

Autre exemple : un homme marié, qui vient de rencontrer une jeune femme avec laquelle il a une liaison depuis deux ans et où se pose la question réelle de vivre avec elle. Son cauchemar est le suivant : il s'avance en marchant, devant lui se présente un horizon totalement dégagé, avec une lumière claire, diffuse, comme dans un tableau de Dali dans un paysage irréel. Devant lui, sur une sorte de plateau en bois qu'il arrive à mal discerner se trouve sa propre tête décapitée et sanguinolente qu'il voit reculer au fur et à mesure qu'il s'avance. La métaphore est ici transparente puisqu'il s'agissait de trancher une question qu'il se posait et qui le tourmentait dans sa tête ou celle peut-être d'accepter de perdre la tête.

Dans ce dernier rêve, la fonction du cauchemar se dévoile assez facilement, il s'agit d'une révélation faite au sujet, non pas d'un désir satisfait bien entendu ou insatisfait, mais bien d'un désir en suspend dans une indétermination totale. Lacan, à la fin de son Séminaire sur l'éthique, pose la question : « Êtes-vous en ordre avec votre désir ? » Question décisive, bien sûr. C'est en préambule à cet ordre inconscient du désir que se situent ces deux cauchemars. À savoir qu'il est temps de sortir de l'indécision car les deux fois, le cauchemar énonce que cette indécision est la mort : « Ta propre mort dont tu es le spectateur horrifié ».
Soulignons, à ce propos, que là on assiste non pas à un drame mais au caractère tragique du sujet devant son désir. Dans notre époque où l'on vit dans le drame, et non pas justement dans le tragique, où « tout finit par s'arranger », eh bien on s'aperçoit que la psychanalyse est sans doute le seul lieu où le tragique reste maintenu dans son actualité et ce maintien confère d'ailleurs à l'analyse son sérieux. Je raconte souvent avoir assisté à la pièce d'Œdipe à l'Odéon à Paris, en un lieu, un endroit supposé par excellence où l'on pense se trouver devant un spectacle mis en scène et traité de la façon la plus précise au théâtre. Eh bien cette pièce d'Œdipe était présentée comme une rigolade. Les comédiens, les acteurs ne parvenaient pas à exprimer la gravité de la situation alors que c'est un moment tragique. À l'inverse, ces cauchemars sont vraiment une restitution du tragique dans la vie.

Citons le cauchemar d'un autre homme : il se trouve dans une grande pièce, ronde, avec beaucoup de gens inconnus. Lui-même ignore ce qu'il fait là. Mais il sait que tous allaient être gazés, et lui avec. Ce patient raconte cela à sa séance du lundi. Le cauchemar datait du vendredi d'avant et, oh surprise, le samedi-dimanche, entre son cauchemar et sa séance il a été paradoxalement entièrement soulagé et gagné par une profonde sensation de bien-être. L'inconscient n'est pas à un paradoxe près ! Le cauchemar présentait une claustration mortelle dans son aboutissement, puisqu'ils allaient tous être soumis à un gazage collectif. Le contexte de l'accident de Fukushima a sans aucun doute servi la mise en scène du cadre mais la question était manifestement ailleurs. Il s'agissait d'une claustration professionnelle et sans issue, et sans avoir réellement jugé de la relation de son cauchemar à son cadre professionnel, le patient a pris pendant le week-end la décision en suspens depuis de longs mois de changer d'orientation. D'où la sensation paradoxale de bien-être à la suite du cauchemar et de cette décision. Je ne cacherai pas que cela faisait un long temps que, dans son analyse, je lui susurrais d'envisager de changer et qu'il a fallu ce cauchemar pour que, sans qu'il n'y comprenne rien, il puisse sortir de son indécision. Il vivait dans une situation certes agréable mais qui n'était pas son véritable désir à lui. C'était son désir contrarié. Le cauchemar fut une mise en représentation du désir inconscient, de l'Autre, du grand Autre symbolique, bien sûr.

À la suite de tous ces cauchemars évidemment sélectionnés, mais il y en a d'autres : ils se ressemblent souvent portant certains traits identiques, qu'est-il possible de proposer comme interprétation? Le rêve simple est défini par Freud en tant qu'il est l'équivalent d'une hallucination de satisfaction de désir. En raison de son caractère hallucinatoire, il n'hésite pas à comparer cette hallucination de la satisfaction du désir à l'Amentia de Meynert : la psychose hallucinatoire, dans notre sens moderne. C'est quand même surprenant qu'il nous dise que « Le rêve est un coup de folie. » Il signale, ultérieurement à la Traumdeutung, que le rêve opère par régression, projection, défense, introjection, etc. Autrement dit que souvent il vient représenter quelque élément des processus primaires. Les processus primaires ceux qui ont conduit aux premières expériences de satisfaction ou de douleur. Ce qui d'ailleurs confère au rêve son caractère de fiction.
Assurément dans le cauchemar, peuvent se trouver des jeux d'équivoque, des allusions métaphoro-métonymiques, mais n'apparaît aucune satisfaction hallucinée du désir. Dès lors on est amené à se poser la question : de quoi s'agit-il, de quoi se délivre-t-on par de là la censure ? Pour autant que la patiente ou le patient soit en situation de transfert, ce qui ne fait aucun doute, et que le cauchemar est produit dans cette situation, il est supposé montrer, vouloir présenter quelque chose à la fois à lui-même ainsi qu'à l'analyste. Et c'est pour cela que le manque de commentaires sur le cauchemar dans la littérature paraît surprenant. Que des patients viennent vous présenter dans le cadre du transfert une situation vraiment horrible dans certaines circonstances, exige peut-être qu'on soit à même d'en faire une lecture correcte.

À propos du texte des cauchemars, on peut observer qu'il n'emprunte pas de propositions verbales ou de signifiants de la veille, mais qu'il met en scène une situation de menace concrétisée : par exemple, par d'énormes araignées dans les draps, par la vue de sa propre décapitation, par des situations imposées ou révoltantes. Le premier constat d'ensemble est que se trouve mise en scène de façon plus ou moins soulignée la représentation d'un sujet élidé, d'un sujet effacé, décapité ou bien, plus subtilement, d'un sujet aboli ou exclu ou qui va être supprimé comme dans le cas des ceux qui vont tous être gazés. Lorsque l'on pousse l'examen un peu plus loin, on découvre que cela ne concerne que rarement un moment circonstancié de la vie comme dans le rêve. On remarquera sans doute que lorsqu'il interprète un rêve, Freud demande à ses patients de décrire la journée d'avant pour repérer les signifiants qui ont eu un effet, un certain effet dans la journée d'avant. Nous ne trouvons pas de moment circonstanciel précis de la veille comme dans le rêve ordinaire mais une situation constituée dans la durée. Dans le contexte de ces cauchemars, on s'aperçoit que chacun concerne quelque chose qui dure, quelque chose qui est là depuis un moment où on ne trouve pas d'issue comme dans le cauchemar des araignées. Parce que c'est vraiment prenant pour elle, tellement anéantissant, qu'elle doit s'en délivrer d'une certaine manière, il est urgent qu'elle sorte de cette situation. Bref, elle ne peut résister à cette situation irrésistible d'angoisse.

L'autre point essentiel qui se dégage, c'est que ces patients d'une manière ou d'une autre, se trouvent soumis, écrasés, conditionnés sous le désir ou la demande de l'Autre, dans ces cas cela désigne ou bien le petit autre qui tente d'imposer son désir ou bien c'est l'Autre primordial symbolique, la mère. À propos de ce désir de l'Autre, il ne faut pas oublier cette formule de Lacan : « le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre ». Être sous la coupe de l'Autre est au cœur du cauchemar : c'est le poids de l'autre, du petit, du semblable et celui de l'Autre symbolique inconscient, selon les cas.
L'Autre inconscient intervient à ce niveau-là. Ce n'est pas la personne, ce n'est même pas la fille. Pour cette jeune femme de trente-cinq ans c'est devenu un surmoi harcelant de la mère, quelque chose qui l'empêche de dormir et qui lui fait faire des kilomètres : dès qu'elle a une minute, elle saute dans la voiture. L'Autre symbolique inconscient est là en jeu, mis en scène en se manifestant dans la subjectivité par cette pression, la pression du désir de l'Autre qui s'exprime, alors que dans le rêve normal et, on dirait par opposition, c'est le désir du sujet qui est mis en scène.

Je crois que c'est là que gît la différence qui nous donne une clé de lecture, je pense qu'en rassemblant tous ces différents cauchemars : leur spécificité tient d'abord dans une représentation du désir de l'Autre en tant que ce désir de l'Autre exerce sur le sujet un poids d'angoisse, un poids du devoir aussi, un poids d'exigence devenu intolérable, et comme on le sait, vivre avec un être, comme je le disais ailleurs, avec un chef de service hébergé en soi vous obligeant à tout moment, où vous n'avez pas la paix, ni de jour, ni de nuit... mais c'est déjà un cauchemar diurne que je vous décris-là ! À la différence du rêve où le désir du sujet est mis en scène, dans le cauchemar, en tant qu'il lui vient de l'Autre, c'est le désir de l'Autre d'une manière directe, comme imposé. Toutefois existe un trait quasi constant, à savoir le caractère de surprise : c'est un coup de tonnerre dans un ciel faussement serein. Surprise ! Il n'est en général pas en relation avec l'immédiat et l'actualité de problèmes quotidiens, le cauchemar est fréquemment en relation avec quelque inscription en suspend depuis de longue date, quelque signifiant refoulé qui vient se rappeler dans le présent. L'« araignée dans les draps » que la présence d'un homme sous le même toit avait momentanément tenue à l'écart... Cet homme, sur le point de son départ, autorise quelque chose à faire retour, de ressurgir venant de l'Autre sauvage, menaçant. L'identité de forme avec le symptôme est manifeste.
De façon générale, deux référents structuraux majeurs sont aisément reconnaissables : l'Autre comme lieu, c'est-à-dire comme inscription inconsciente d'un signifiant qui organise le symptôme, le compromis et les contre-mesures protectrices, contre-phobiques dans certains cas qui vont avec ; le second référent est l'affect d'angoisse qui souvent submerge le sujet. Or si l'on retient que l'angoisse est d'abord la tonalité qui caractérise le cauchemar et que d'autre part l'angoisse constitue le signal avertissant de la proximité avec l'objet-cause du désir, soit avec l'objet petit a, ces éléments réunis éclairent la raison pour laquelle le cauchemar revient à désigner le désir de l'Autre. Le symptôme de la jeune femme de trente-cinq ans illustre parfaitement cette coprésence angoissante de l'Autre et de l'objet. C'est une banalité clinique, dira-t-on, mais du fait que c'est cela que met en scène le cauchemar de façon litigieuse et symptomatique, il montre par là, du même coup, le chemin qui permet de se délivrer de l'impasse du symptôme et à ne pas persister dans le compromis. Si le rêve est satisfaction hallucinée d'un désir, le cauchemar au contraire signale la nécessité d'arracher l'objet-cause de l'emprise de l'Autre primordial dans lequel il était resté incrusté. De ce point de vue là, il y aurait encore beaucoup de choses à expliciter, concernant l'analyse, mais j'en reste à cette dimension du cauchemar qui me semblait devoir être soulignée au préalable. Peu de cauchemars qui ne soient pas, en fin de compte, interprétables de près ou de loin au travers de ces dimensions.