Introduction à la psychanalyse à propos de l'hystérie

J’ai pris le parti de vous parler du dernier chapitre de cet ouvrage publié par Freud qui s’intitule Etudes sur l’Hystérie. En fait, il faut bien savoir au départ que dans cette lecture que j’espère vous avez faite, vous assistez à la création de l’œuvre de Freud et à la création de la méthode analytique. C’est l’intérêt de ce chapitre rédigé par Freud. Vous avez pu remarquer que l’ensemble n’a pas été publié primitivement, qu’il y avait un chapitre intitulé « Sur les mécanismes psychiques des phénomènes hystériques », lequel texte date de 1892, alors que le recueil que vous connaissez date de 1895. Les histoires cliniques des malades avaient été publiées ultérieurement séparément.

La première partie, « Les mécanismes psychiques », a été publiée dans des revues médicales de l’époque. Et Freud fait part dans ces textes d’un grand nombre d’hésitations et de réserves. C’est une mesure de prudence vis-à-vis du lectorat médical, car on imagine que sa découverte - et il le savait - assez renversante n’allait pas être d’emblée acceptée par le corps médical. Et elle n’est pas encore acceptée aujourd’hui, puisque les médecins passent leur temps à inventer des maladies qui ne sont que des affections hystériques et des conversions dans la clinique. Donc, depuis un siècle pas grand-chose a changé. Mais contrairement aussi à ce qu’affirme cette sotte de Marie Bonaparte, à l’entrée du livre, Freud, par rapport à ce qu’il écrit là, n’a pas beaucoup varié dans son esprit. Il n’a pas modifié grand-chose par rapport à ce qu’il va concevoir ultérieurement. Bien sûr, toute la psychanalyse n’est pas dans cet article mais je veux dire que ce qu’il a posé comme borne au départ, il l’a conservé ultérieurement dans ses descriptions.

La découverte initiale du traumatisme et celle du processus du refoulement décrits dans cet ouvrage garde toute sa valeur initiale. La fameuse formule « l’hystérique souffre de réminiscences » garde sa validité aujourd’hui. Il ne faut pas se laisser prendre en croyant que ce texte est un tissu de vieilleries. C’est au contraire un texte que l’on peut qualifier de tout à fait extraordinaire. Extraordinaire, puisqu’il s’agit de la mise en place des fondements de la psychanalyse qui ne porte pas encore son nom mais qui est déjà dans toute son articulation principale. Et on peut dire qu’avec les éléments apportés, on peut déjà faire une analyse de bonne qualité.

Ce qu’il a découvert, grâce à l’hypnose… L’hypnose, je vais en dire un mot, vous savez, vous avez sans doute entendu que cette pratique a gagné en notoriété depuis quelques années de nouveau. Il y a des gens qui pratiquent l’hypnose, on ne sait pas très bien d’où ils viennent, mais enfin peu importe, ce que je veux simplement préciser c’est que l’hypnose, même pratiquée par des praticiens instruits de la chose - comme moi j’ai été formé à l’hypnose dans ma formation de psychiatrie par exemple -, cette hypnose qu’on va dire présente depuis plus d’un siècle et demi, ne peut pas être considérée comme un moyen thérapeutique puisque il est fondé sur la suggestion. On ne peut pas considérer que la suggestion est un moyen thérapeutique. Mais c’est ça l’intérêt aussi de la conception que dégage Freud de sa pratique de l’hypnose, de quelle manière cela lui a été bénéfique. Pour quelle raison ?

Pour découvrir le lien qui existe de cause à effet dans la névrose et de découvrir aussi le rôle déterminant de certains facteurs accidentels que nous évoquerons tout à l’heure. Ainsi - et ça c’est aussi à entendre, alors que Freud ne le dit pas explicitement dans le texte - la clinique de l’hystérie se décline fréquemment selon des traumatismes. Traumatismes plus ou moins marqués, plus ou moins authentiques dans la réalité mais toujours présents. Et que c’est un trait, pas un signe clinique mais un trait, très important puisque cette lecture opérée par Freud échappe dès le départ à la logique médicale. D’où, justement, la prudence que vous pouvez détecter dans la rédaction de ses textes.

Et, je vous signale comme ça, au détour, que Freud était tellement prudent qu’il a eu affaire aussi avec le co-auteur de cet ouvrage qui est son collègue Joseph Breuer, qui était un ami, que cet ouvrage a aussi été la cause d’une rupture entre eux deux, puisque Breuer était le médecin qui a soigné Anna O., que cette affaire d’Anna O. a considérablement perturbé, troublé Breuer, et qui a provoqué en quelque sorte un passage à l’acte de la part de Breuer - un trouble amoureux, évidemment -, un passage à l’acte de la part de Breuer, c’est qu’il a abandonné le traitement d’Anna O. pour partir en voyage à Venise avec sa femme, et au cours de ce voyage, ils ont eu un enfant, un garçon, qui est mort d’une façon, je dirais, un peu brutale par la suite.

Ce sur quoi insiste Freud c’est que d’emblée le traumatisme n’est pas la cause initiale, et ce qu’il retient dans ce processus c’est une chaîne discursive. C’est ça qui est important, c’est ce à quoi il s’attache. Et cette chaîne discursive, il en examine le cheminement et son aboutissement. Cette façon d’introduire une logique semblable est tout à fait révolutionnaire, c'est-à-dire qu’il ne va pas suivre une logique objective, comme on le fait habituellement - « Ah, il a eu tel traumatisme donc il a tel symptôme ! » - non, ce processus de raisonnement ne l’intéresse pas. Ce sur quoi Freud insiste, c’est sur la constitution de cette chaîne discursive, c'est-à-dire celle qui, dans la bouche de l’hystérie, va du traumatisme à son aboutissement symptomatique. Eh bien cette logique est révolutionnaire au sens où elle échappe au matérialisme médical et au rationalisme psychologique, évidemment aussi !

Donc vous pouvez entendre que, dès 1895, Freud était déjà dans une procédure de lecture du symptôme tout à fait particulière, tout à fait idiopathique pour lui. Et ce  à quoi il convient aussi d’être attentif, c’est à la situation de la notion de traumatisme dans la chaîne pathogénique. Freud ne dit pas que le trauma est la cause de l’hystérie. Il dit que l’hystérie se construit selon une analogie avec la névrose traumatique. Ce n’est pas tout-à-fait pareil. Il fait là un distinguo radical. Il existe par conséquent une analogie entre l’hystérie banale et la névrose traumatique.

En effet, il y a une sorte de trauma, dont on ne sait pas la nature, Freud n’en parle pas. Il existe une sorte de trauma dans l’histoire du sujet, mystère, on ne sait pas très bien quelle est sa nature ni sa valeur et ensuite un souvenir ; et ce souvenir va se comporter dans cette histoire comme un corps étranger. C’est ça la différence entre la psychanalyse et puis les histoires de traumatisme qu’on traîne dans les cliniques. Par exemple, lors de l’accès hystérique, Freud a remarqué que la patiente ou le patient avait une vision hallucinatoire de l’incident ou de l’accident. Mais le symptôme qui en résulte et qui résulte du processus, lui, c’est un symptôme qui a un caractère tout à fait idiopathique c'est-à-dire sans lien avec la nature du trauma. C’est ça qu’il a réussi à dégager de sa clinique grâce à cette méthode hypnotique et Freud n’a jamais suggéré d’utiliser l’hypnose pour guérir le symptôme.

Entre le phénomène pathologique, celui qui est donc présenté au thérapeute, et sa cause – parce qu’il y a quand même une cause quelque part – existe un lien symbolique. Et ce lien symbolique, c’est là l’essentiel de sa découverte.

Ceci, souligne Freud, est identique à ce qui se passe dans le rêve. Le rêve, la Traumdeutung, il va l’écrire juste après la publication de cet ouvrage. Il commence à la rédiger en 1895 et ça va paraître en 1900. Ce fait où il va donc considérer le symptôme comme étant identique à l’écriture du rêve ou à l’histoire du rêve si vous voulez. Là aussi va apparaître un lien symbolique entre une causalité et ses effets, c'est-à-dire il ne faut absolument pas chercher un lien de causalité matérielle. Et il faut rappeler que très tôt, dès 1892, trois ans avant la parution de cet ouvrage, Freud avait parfaitement isolé le fonctionnement de la subjectivité dans la mise en place du symptôme. Et ceci, je vais vous le rappeler pour le décrire et vous le souligner puisque c’est le vrai moment de la rupture avec la lecture de la clinique habituelle, médicale, de son temps.

Dans un choc affectif apparaissent deux fonctions, et ces deux fonctions sont capitales puisque d’un côté c’est l’affect, c'est-à-dire l’émoi et de l’autre ce qu’il appelle la représentation. Ces deux fonctions n’ont pas le même cheminement dans la subjectivité. L’affect reste présent dans la subjectivité, dans la conscience, on se souvient de l’émotion, on se souvient dans la mémoire de l’émotion. Donc cet affect reste toujours présent. En revanche la représentation est refoulée et donc elle ne va pas rester à la disposition de la conscience du malade. Alors c’est quoi la représentation ?

Eh bien c’est rien du tout. C’est un signifiant. C’est un signifiant qui est lié à un événement. J’en donnerai un exemple tout à l’heure. Ainsi on peut toujours avoir la même peur du serpent sans jamais savoir à quoi cela se rapporte. A quelle représentation cela correspond-il, correspond-elle cette peur ? A quel signifiant inscrit dans la mémoire et néanmoins refoulé est le symptôme qui ravage la vie du patient ?

Le premier espoir de Freud, et ça transparaît dans son texte, a été de penser pouvoir rétablir la frayeur, l’anxiété, la honte, - ce sont des affects, c'est-à-dire que c’est toujours présent - à une cause ignorée. Il a toujours relié ces affects à une cause ignorée, oubliée, et ceci grâce à l’hypnose, c'est-à-dire l’hypnose consiste à abaisser votre niveau de conscience, de vigilance, à baisser peut-être aussi la barrière du refoulement, et puis vous laisser dégoiser dans cette absence momentanée. Et Freud, dans ce texte, vous montre que, à certains moments, l’hypnose ça ne marche quand même pas aussi bien qu’on le souhaiterait. Et il rencontre des gens qui résistent à l’hypnose, il rencontre des gens qui le promènent, en quelque sorte, sous hypnose. Et donc il va passer à une autre méthode dont il nous parle, c'est-à-dire la pression de la main sur le front du patient.

Au fond, la méthode hypnotique revenait à tenter de réconcilier la frayeur d’origine énigmatique avec ce qui avait été perdu dans le souvenir. Ce qui équivalait, à l’époque, à l’inconscient. L’usage de l’hypnose portait, à l’époque, l’espoir de permettre de rétablir ce lien entre les frayeurs ou les hontes immotivées et une cause énigmatique, et donc d’essayer de retrouver ce lien effectif au niveau symbolique entre le souvenir et l’affect. Ce qui correspondait effectivement quand ça avait lieu à la disparition du symptôme et à la réintégration du complexe d’associations que devait permettre – et ça c’est la première fois que Freud l’évoque – l’expérience verbale.

Au fond, en même temps qu’il avait reconnu le processus psychique, là dans un deuxième temps, il affirme qu’il faut que ça passe par l’expression verbale. Et donc, c’est cette expression verbale qui permet de supprimer les effets de la représentation refoulée. Et ici nous sommes toujours dans la clinique de l’analogie avec le traumatisme pour l’hystérie, où il s’agit de supprimer les effets de la représentation qui a été inscrite dans l’inconscient car refoulée.

Eh bien, le deuxième temps, vous voyez qu’il avance d’une façon tout à fait didactique, le deuxième temps va consister à reprendre cette thèse, non plus dans le pur concept du traumatisme mais de le restituer dans le champ du désir et du sexuel. C’est là que l’on est au cœur de l’affaire.

Je vais vous lire un petit passage où il l’illustre. 

« Je vais essayer de vous donner quelques exemples en les sériant. Je soignais une jeune fille affectée, depuis six ans, d’une toux nerveuse insupportable qui, évidemment, trouvait un aliment dans chaque catarrhe banal mais devait avoir une forte motivation psychique. Toutes les thérapeutiques s’étaient montrées inefficaces. Je cherchai donc à me servir de l’analyse psychique pour supprimer ce symptôme. La jeune personne ne sait qu’une chose, c’est que cette toux nerveuse a débuté à l’époque où, âgée de 14 ans, elle se trouvait en pension chez une de ses tantes. Elle ne veut pas entendre parler d’éventuelles émotions alors éprouvées et ne croit pas à une motivation de son mal. Sous la pression de ma main, elle pense tout d’abord à un grand chien, puis reconnaît cette image mnémonique. Il s’agit de l’un des chiens de sa tante qui s’était attaché à elle, la suivait partout, et ainsi de suite. Ah oui ! Maintenant, elle se le rappelle sans que j’aie à intervenir, ce chien mourut, les enfants l’enterrèrent en grande pompe et c’est en revenant de cet enterrement qu’elle eut sa première quinte. J’en demande la raison mais suis obligé de renouveler ma pression de la main sur son front ; une pensée surgit alors : « Me voilà toute seule au monde maintenant. Personne ici ne m’aime, cet animal était mon seul ami et je l’ai perdu ».

Vous voyez, le maintien de l’affect. Mais là on ne connaît pas le support. Donc, "personne ne m’aime". Elle poursuit son récit : « Ma toux cessa quand je quittai ma tante, mais pour réapparaitre dix-huit mois plus tard. » – « Pour quel motif ? », dit Freud - « Je n’en sais rien. » J’exerce à nouveau ma pression. Elle se rappelle qu’en apprenant la mort de son oncle, la toux reprit et que les mêmes pensées lui étaient venues. L’oncle en question était soi-disant le seul qui, dans cette famille, eût un sentiment pour elle, l’eût aimée. Telle était donc la représentation pathogène : on ne l’aimait pas, on lui préférait n’importe qui, elle ne méritait d’ailleurs pas d’être aimée, etc. Toutefois quelque chose d’autre devait encore se rattacher à cette conception de « l’amour » — que Freud met entre guillemets ici — quelque chose qu’une forte résistance l’empêchait de révéler. L’analyse fut interrompue avant que cette question pût être résolue. »

Vous voyez, la résistance apparaît à tout ce qui est… quoi ? L’affection de cette jeune fille, de cette gamine, pour son oncle. Et Freud va le dire plus loin : « c’est une révolte contre quelque excitation sexuelle » que, évidemment, le traitement avec ces pressions sur le front risquait de faire ressurgir et que la jeune fille ne pouvait pas ou bien ne voulait pas en montrer plus. Donc elle a rompu.

Ce que nous observons encore dans l’analyse, aujourd’hui, en 2016 rien n'a changé. Il est évident que l’analyse, aujourd’hui, ne saurait débuter qu’à la fin du commentaire de Freud. On pressent combien l’attachement érotique à cet oncle bienveillant a été intense et en même temps refoulé, et combien la toux opère le lien entre cet amour et son interdit et donc son refoulement. Et dans cet exemple, comme d’autres, le symptôme de la toux est une conversion dans le corps qui vient se substituer à la place du désir érotique et en même temps vient, en quelque sorte, inscrire quelque chose à cette place, de ce qui a été refoulé. Dans cette petite description, on aperçoit clairement les deux cheminements différents de l’affect d’un côté, comme je vous l’ai signalé et du jeu signifiant de l’autre. La patiente parvient à restituer le cheminement de la toux à la faveur des effets sur l’affect. Ce n’est qu’à partir de là que le symptôme permet d’apercevoir ce qui est caché et qui est le support, le signifiant du désir érotique dont la toux est le substitut métaphorique. C’est une métaphore. C’est un désir qui se transforme en toux. T-O-U-X, bien sûr ! Vous observez aussi que la patiente s’est enfuie de la cure avant que toute la clarté ait été faite. La nature sexuelle est plus qu’évidente en ce cas-là pour le fouilleur d’âmes qu’est Freud et cela ne l’a pas surpris, bien sûr.

Je vais vous citer encore un autre petit cas. Je vais l’abréger. C’est une dame qui a des idées obsédantes et des phobies qui la gênent absolument, considérablement. Et il prévient que tout en disant que c’est une idée obsédante et une phobie, il ajoute que ce symptôme a une parenté avec l’hystérie, avec le symptôme hystérique. C’est intéressant, c’est important. 1895, c’est de la clinique de 1895 !

« Quand je demandai à cette dame, sous la pression de ma main, elle avait vu quelque chose, elle répond : « Rien du tout ! Ah un seul mot, oui, ça me semble trop bête ! » – « Dites le quand même ! » ­– « Eh bien concierge. » Il ne manquait pas d’humour, Freud. – « Rien d’autre ? » – «  Non ! » J’exerce une deuxième pression et un autre mot lui traverse l’esprit : « Chemise ». Et on continue : – « Concierge, chemise, lit, ville, charrette. » – « Que signifie tout cela ? » Elle réfléchit un moment puis une idée lui vient à l’esprit. – « Il ne peut s’agir que d’une histoire dont je me souviens maintenant. J’avais 10 ans et celle de mes deux sœurs dont l’âge se rapprochait le plus du mien - elle avait douze ans - eut une nuit un accès de délire. On fut obligé de la ligoter, de la transporter sur une charrette à la ville. Je sais avec certitude que c’est le concierge qui la maîtrisa et la conduisit ensuite à la maison de santé. » Et Freud d’ajouter : « Nous persévérons dans notre méthode de recherche », toujours la pression de la main. « Si la maladie de la sœur l’avait aussi vivement frappée c’est qu’elles partageaient un secret. Couchant dans la même chambre, elles avaient toutes deux été une certaine nuit victimes d’une tentative de viol commise par le même homme. La mention de ce traumatisme sexuel, subi dès la première jeunesse, permit de découvrir non seulement l’origine des premières idées obsédantes » - voyez, ça ne s’est pas calmé pour autant -, « mais aussi le traumatisme pathogène qui avait ultérieurement agi. » Voilà des mots isolés qu’elle produit sous la pression du travail de Freud, et Freud ajoute : « Nous devions ensuite faire des phrases avec tout ça, car le manque apparent de rapports et de liens affecte toutes les idées, toutes les scènes généralement évoquées par la pression, de la même façon qu’il affectait les mots lancés comme des oracles. Par la suite, on est toujours en mesure d’établir que les réminiscences en apparence décousues se trouvent étroitement liées par des connexions d’idées. »

C’est absolument exceptionnel, une clinique pareille ! C’est tout à fait renversant ! On aperçoit aussi au fur et à mesure du développement que Freud donne à l’hystérie le caractère d’une affection névrotique autonome, et surtout il donne à l’hystérie une possibilité de guérir, seule parmi toutes les névroses, puisqu’expliquer la métaphore du symptôme revient à la guérir presque miraculeusement. C’était quand même le bon vieux temps, ça !

Pour que vous puissiez vous rendre compte du caractère novateur de ces avancées cliniques, freudiennes, je vous rappelle qu’en cette période de la publication de Freud, la psychiatrie classique, c’est-à-dire aussi bien la psychiatrie française que la psychiatrie allemande qui étaient à l’époque à la pointe de la clinique, en étaient encore à se questionner, sauf chez Charcot, de savoir si l’hystérie avait des affinités avec l’épilepsie. Et je vous signale – un point historique – que ces malades étaient hospitalisés dans le même service, l’hystérie et l’épilepsie. Et que ce n’est qu’en 1925 que la psychiatrie et l’administration ont décidé de séparer les crises épileptiques des crises saltatoires. C’est à cette époque-là, 1925 - trente ans avant il avait déjà parfaitement identifié le processus pathogène dans l’hystérie - qu’il déclare donc comme une affection autonome, ce qui correspondait également, et c’est ça qui est surprenant, à l’idée qu’avait un certain docteur Séglas, qui est un bonhomme absolument extraordinaire, faut lire ses textes, 1880, où il disait par exemple qu’aucune hystérie ne ressemble à une autre, chacune est un cas particulier, et il avait déjà parfaitement repérer que chacun fonctionnait là…, comment ?

Eh bien, à partir de la représentation, c’est-à-dire du signifiant. Il avait repéré que chacun, chacune avait son petit signifiant et certainement aussi ses signifiés. Mais ce n’était encore pas accepté, malgré les propos de Séglas. Si vous trouvez des textes de Séglas, mettez-les dans votre poche, cachez-les, rentrez chez vous et lisez-les, vous verrez c’est quelqu’un de tout à fait extraordinaire ! C’est bien plus intéressant que le journal !

Vous observez de suite dans l’article de Freud qu’il ne cherche pas à faire tableau. Il ne va pas vous construire un tableau. Quand vous aurez avalé ça, vous n’aurez pas encore le tableau clinique, vous n’en aurez que les mécanismes psychiques, ça ne sert à rien de faire un tableau, je veux dire bien sûr la clinique existe, il faut la faire, mais une fois que vous avez fait un tableau, ça n’avance pas dans la démarche. Il parle d’emblée non pas de tableau mais de mécanismes du symptôme, pour lui reconnaître un caractère surdéterminé, qu’il annonce être multifactoriel. Il n’y a pas une cause, il y a de la cause. Il affirme cela à partir de ce qu’il a pu constater, ce qu’il appelle sa « méthode cathartique ». Vous savez ce que c’est qu’une catharsis ? Levez la main. Qui sait ce que c’est qu’une catharsis ? Non ?

Catharsis en grec ça veut dire purger, donc on purge les mots qui traînent sous votre chapeau. Cette technique part de l’idée que si devant un symptôme psychique on parvient avec le patient à établir une purgation verbale, si vous me permettez cette formule, entre le symptôme et sa cause, et une cause, le malade va s’en trouver alléger. C’est une théorie totalement illusoire. Il faut commencer avec des erreurs, dans la vie - c’est comme ça - d’abord on commence à déconner et puis après on essaye d’arranger les choses. C’est le principe de l’analyse. Vous allez en analyse parce que vous vous apercevez que vous déconnez, et puis on va voir si l’on peut arranger ça. C’est ça qui est la chose aussi extraordinaire, Freud déconne à pleins tuyaux mais ça marche, comment vous expliquez ça ?

Eh bien ça s’appelle l’hystérie. C’est parce qu’il a accepté d’être dans cette illusion cathartique que les choses se sont en quelque sorte mises en place. Ainsi, il va abandonner l’hypnose pour retrouver les souvenirs pathogènes, parce que l’idée de l’hypnose, des effets hypnotiques, repose sur la notion fausse, illusoire de la catharsis, et donc il va changer de méthode. Qu’est-ce qu’il va faire ?

Il va allonger ses malades, et il va s’asseoir derrière, et puis il va leur presser le front ; il va leur demander de fermer les yeux, c’est-à-dire d’éteindre le contrôle visuel, et il va essayer de vaincre l’opposition qu’il est en train de découvrir chez ses patients, tellement sympathiques et tellement bénévoles ! Ils sont d’accord pour tout dire, pas de problème ! Et il dit dans le texte : « On est souvent déçu ». Ils promettent de dire toute la vérité et puis…, on va pouvoir obtenir un certain nombre de chaînes d’associations. Vous vous rendez compte comme il a bossé ce bonhomme ! Parce que c’est épuisant de faire ce boulot, et il le répète plusieurs fois d’ailleurs. Mais c’est grâce à cette méthode donc “déconnante” qu’il va également reconnaître un certain nombre de traits spécifiques dans la cure, au bout de quelques années, et des traits spécifiques de la rencontre avec les patients.

Et il va évoquer trois points. Il va évoquer le transfert, il va évoquer la résistance et il va évoquer les processus de défense. Et pendant ces années-là il va cesser de préciser, et il va décrire des névroses de défense, des névroses qui sont fondées sur cette technique de la défense. Vous croyez qu’on a avancé par rapport à ça ? Eh bien non, on n’a pas avancé puisque aujourd’hui on rencontre des gens, des patients, des patientes, qui sont en défense par rapport à leur sexe, qui sont en défense par rapport à la rencontre avec l’autre, et qu’on en est toujours là dans les processus de défense. Et que Lacan a montré, avec son stade du miroir comment s’organise la défense. Vous voyez, 1895-2015, pour arrondir, ça fait combien ? Ça fait 130 ans.

Freud consacre les dernières pages de son article en qualifiant cela « le rôle important et gênant des processus de défense ». Alors moi j’évoque la défense contre son propre sexe, la défense contre l’autre sexe, mais peu de temps après Freud va commencer à découvrir la défense contre l’analyse sur son divan, et qu’il ne va pas savoir comment en quelque sorte résoudre cette question. Alors certains d’entre nous donnent pouvoir de transfert, manque de pot le transfert c’est aussi une défense : « J’aime mon analyste pour qu’il ne me blesse pas par des interprétations désagréables, et puis moi je le ménage, je ne vais pas tout lui dire. »

Freud a demandé à ses patients de parler, de parler sans réfléchir, de parler sans aucun processus de défense ni aucune réticence. Je vous le raconte régulièrement, votre portable c’est un instrument de défense. La preuve, c’est que vous ne voyez même plus les gens qui sont autour de vous, vous leur rentrez dedans sur les trottoirs en regardant votre portable, c’est ça la défense. La plus belle notion qu’on puisse imaginer c’est bien ça, sur la défense ! Quant à la résistance ma foi, celle-là c’est quelque chose d’autre, elle est étroitement liée… à quoi ?

C’est un terme que je dirais un peu malencontreux. Pourquoi ? Parce que, il y a des exemples chez Freud, je ne vais pas les évoquer ce soir, mais la résistance c’est forcément le fait qu’on ne circule pas dans l’existence avec les fenêtres grandes ouvertes sur notre inconscient, sinon ce ne serait plus l’inconscient. Donc forcément, il y a quelque chose là qui fait obstacle, et Lacan, vous l’avez peut-être lu dans le Séminaire XI sur les Quatre concepts de la psychanalyse, parle de l’inconscient comme quelque chose qui s’ouvre et qui se ferme comme ça très rapidement. C’est ça la résistance, il y a des choses auxquelles nous n’avons pas accès, même sur un divan en fonçant dans le brouillard on n’y arrive pas. L’individu, le sujet, dans son rapport à son propre inconscient, il a ses limites aussi. Et puis cette limite, Freud l’a rencontrée tout de suite avec l’hypnose.

La résistance c’est quelque chose que vous apercevez, que vous entendez de façon ponctuelle chez un patient ou une patiente. La défense c’est un processus, une machinerie, une machinerie pour que tout soit bien verrouillé, c’est tout à fait différent, vous comprenez ? La défense c’est une construction, alors que la résistance c’est un point qu’on ne peut pas traverser, c’est une traversée qu’on ne peut pas faire ; ça c’est notre expérience bienveillante de la psychanalyse, on ne va pas défoncer… Déjà, Freud y va un peu fort dans certains cas, dans certaines observations, mais c’est un chercheur, il voulait aller au bout des trucs.

Et donc il y a là quelque chose qui est important et gênant, c’est effectivement la résistance, et il va avoir la même problématique quand il va évoquer, dans son article, la répétition. La répétition, c’est quelque chose de fermé, à quoi le sujet n’a pas accès, et vous non plus, donc il répète, il répète… C’est-à-dire il va répéter, en général un échec. Un échec qui est articulé dans l’inconscient et auquel on n’a pas accès, et le patient lui non plus n’a pas accès. Simplement on attend de la parole, donc du symbolique, parce que ce n’est pas la parole textuelle, c’est la parole en tant que fonction symbolique. On attend de la parole, du symbolique qui nous permettra peut-être un jour de nous écarter du processus de l’échec.

Je vais m’arrêter là, sur cette conclusion semi-optimiste, c’est qu’on peut faire beaucoup de choses, un excellent travail dans une cure, mais on peut aussi la bâcler, et la bâcler c’est justement des processus de défense. Il faut, comme le dit Freud, quand on est dans l’analyse, il faut accepter de parler de tout, de tout et de n’importe quoi, parce qu’on n’en connaît pas a priori l’importance. Il ne faut pas être grand psychanalyste pour entendre combien, dans certains cas, le bonhomme ou la dame est cabré, verrouillé sur des silences de sa vie personnelle.

J’ai eu comme ça une expérience que je vous raconte, que je peux raconter parce qu’elle est strictement anonyme. Quinze ans sur un divan, un monsieur, il ne m’a jamais parlé de ses amours bien sûr, il voulait garder sa dignité, et puis cinq ans après une dame vient me voir et me dit : « Ce n’est pas la peine que je vous donne mon nom parce que vous me connaissez certainement sur le bout des doigts » (rires) « sur le bout des doigts ? », elle me dit : « Je suis Mireille », je reste silencieux, je ne connaissais pas de Mireille, et il se trouve que c’était l’amante de mon patient. Quinze ans de silence ! Il lisait les textes de Freud, ça ne l’émouvait pas plus, ça ne le touchait pas. Donc vous voyez, il faut être honnête avec soi-même, il faut tout balayer, tout nettoyer, tout, il ne faut pas laisser des toiles d’araignée, parce qu’après vous avez des phobies des araignées, c’est normal ! Ce n’est quand même pas glorieux. Vous faites une analyse, et vous avez une phobie des toiles d’araignées, il n’y a pas besoin d’être sourd pour entendre ?