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Je vais vous parler de la structure des discours, en privilégiant le discours du Maître, qui est l’écriture de la constitution du sujet parlant, et le discours de l’Hystérique qui permet de dégager des faits de structure. Mon propos ce soir est d’apporter un certain éclairage sur ce symptôme nouvellement nommé dans le social : le burn-out.

Lacan dans son séminaire L’envers de la psychanalyse parle de la nécessité du discours, le discours est une structure nécessaire. Un discours ordonne une forme de lien social pour les parlêtres.

Un discours est une organisation, ou une structure langagière spécifique de la relation fondamentale, celle définie d’un signifiant à un autre signifiant, relation fondamentale d’où résulte l’émergence du sujet. C’est pour cela qu’on dit que le sujet est un parlêtre.

Je cite Lacan : « Au point d’origine où nous nous plaçons pour fixer ce qu’il en est du discours, le discours conçu comme statut de l’énoncé, S1 est ce qui est à voir comme intervenant, intervenant sur ce qu’il en est d’une batterie de signifiants que nous n’avons aucun droit jamais de tenir pour dispersée, pour ne formant pas déjà le réseau de ce qui s’appelle un savoir. »

« Ce qui se pose d’abord (de ce moment où le S1 vient représenter quelque chose par son intervention dans le champ défini comme le champ déjà structuré d’un savoir), ce qui est son supposé, dans les dessous, c’est le sujet. »

« Il y a la nécessité de ceci : que dans le savoir quelque chose se produise qui fait fonction de signifiant-maître. »

Un signifiant, S1, représente le sujet auprès d’un autre signifiant, S2, ou plutôt auprès de tous les autres signifiants organisés en réseau, le savoir, savoir inconscient.

Je continue de citer Lacan : « De ce trajet sort quelque chose de défini comme une perte, c’est cela que désigne la lettre qui se lit comme étant l’objet a. Le point d’où nous extrayons cette fonction de l’objet perdu, c’est du discours de Freud sur le sens spécifique de la répétition chez l’être parlant.

La répétition a un certain rapport avec ce qui, de ce sujet et de ce savoir, est la limite, qui s’appelle la jouissance. »

Cette intervention du S1 auprès du S2, la répétition, se fait grâce au jeu de la lettre, toutes ces recombinaisons signifiantes, c’est cela la répétition le long des chaînes signifiantes S2.

Les quatre discours écrits par Lacan sont donc quatre structures discursives qui se déduisent les unes des autres par quart de tour, et qui se renvoient les unes aux autres.

Ces discours déterminent quatre places : à gauche en haut la place de l’agent (l’agent du discours), avec en dessous la place de la vérité (ce qui fait vérité pour l’agent), à droite en haut la place de l’autre (ce discours s’adresse à un autre), ou place Autre avec un grand A, place de l’altérité, avec en dessous la place de la production (ou place de la jouissance).

Ces quatre places sont donc tour à tour occupées par quatre symboles le S1 (le signifiant-maître), le S2 (le savoir), la lettre petit a (l’objet perdu) et $ (le sujet).

Un signifiant ne peut pas se signifier lui-même, c’est-à-dire qu’un signifiant séparé des autres, isolé, ne peut avoir de signification. S1 en lui-même c’est le signifiant sans signifié, ça n’a pas de sens.

Pour que cette signification apparaisse il faut qu’il y en ait au moins un autre afin qu’il y ait corrélation, ce réseau de signifiants qui permet la signification c’est le savoir S2.

Le discours du Maître

La constitution du sujet parlant, c’est la structure du discours du Maître.

Le signifiant Un, le S1, le signifiant-maître, représente le sujet auprès de l’ensemble des signifiants S2 : le savoir. C’est donc un savoir sur la jouissance évoquée par le signifiant phallique d’où le S1 tire sa puissance, savoir inconscient recelé par les chaînes signifiantes. À l’injonction du S1 répond un savoir. Dans notre culture la jouissance évoquée par le S1 lui vient de la signifiance phallique qui lui donne cette légitimité à commander, et qui est une interprétation.

Il y a le symbole phallique, symbole de puissance et donc désirable, et il y a le S1 qui est un fait d’écriture, c’est l’écriture qui entraîne la répétition dans les chaînes signifiantes. Mais du fait du langage la signifiance phallique vient aussi représenter, ou signifier, le manque dans le Symbolique dans sa visée à traduire le Réel.

S1 vient exercer le commandement sur les autres signifiants S2, et il est là pour ça. Mais ce signifiant Un n’est qu’un fait d’écriture, il est distingué, choisi parmi tous les signifiants à un moment donné en tant que porteur de la signifiance phallique, et le commandement s’exercera toujours à travers le S2.

La conséquence pour les parlêtres c’est qu’il y aura d’un côté ceux qui, légitimement, peuvent s’appuyer sur le S1 qui est un signifiant phallique, et de l’autre côté les femmes qui ne peuvent pas légitimement se réclamer du S1, mais qui étant cependant des parlêtres ont tout de même affaire au S1 pour parler et trouver leur place de sujet.

Une femme doit renoncer à s’autoriser du signifiant-maître, le S1, par contre elle peut se réclamer du S2, le savoir, signifiant en place Autre dans le discours du maître, à condition que S2 soit authentifié par un pacte symbolique avec le S1, pacte qui donne sa valeur de savoir au S2. Et nous verrons que ce point peut être délicat pour une femme.

S1 étant le signifiant primordial refoulé, il représente le sujet dans la répétition, S1 se répète auprès de S2, auprès de tous les signifiants qui se répètent dans les chaînes signifiantes quand le sujet s’inscrit dans le langage par sa parole. Et lors de cette répétition, il y a quelque chose qui choit, c’est-à-dire qui est définitivement perdu pour le sujet et que Lacan appelle l’objet petit a, l’objet cause du désir.

Cet objet a vous le voyez à la place du plus-de-jouir produit dans le discours du Maître, qui est aussi l’écriture de la structure langagière du parlêtre.

Ce qui est en place de vérité pour le signifiant-maître, en place de vérité en dessous, c’est le sujet, $, sujet déterminé, divisé par le signifiant, sujet inconscient. Ce sujet divisé surgit, logiquement, de façon concomitante à l’objet a dans l’intervalle de la répétition signifiante.

Dans ce discours à la ligne inférieure il n’y a pas de rapport direct du sujet à l’objet de son désir (vous reconnaissez là la formule du fantasme). C’est là que réside l’impossibilité du discours du Maître. Puisque chaque discours témoigne d’une impossibilité résultant d’une disjonction entre la place de la production et la place de la vérité. « La pleine articulation de ces discours est impossible » dit Lacan.

Cette impossibilité concerne la question de la jouissance qui vient faire limite. (En relation avec la perte évidemment).

Pour le parlêtre la jouissance est corrélative de l’entrée en jeu de l’inscription signifiante, le trait unaire.

Si S1 commémore la jouissance phallique absolue et interdite du fait du refoulement originaire, c’est le sens de la castration, Lacan dit que : « en suppléance de l’interdit de la jouissance phallique, est apporté quelque chose d’une tout autre origine que la jouissance phallique, et située par la fonction du plus-de-jouir. »

Cette autre origine provient de l’érotisation du corps par le premier grand Autre maternel. Ce sont les signifiants, articulés par ce grand Autre primordial, la mère en général qui parle au petit, qui vont rendre ce corps nouveau-né viable avec des orifices fonctionnels, en y inscrivant la fonction de la pulsion, fonction centrée sur la jouissance d’un objet perdu du fait de l’entrée dans le langage.

Le corps est la place où s’organise demande et désir, et nous pouvons donc l’identifier comme lieu de l’Autre du langage. C’est le lieu du savoir inconscient sur la jouissance, lieu organisé par le fantasme, qui est, selon l’écriture de Lacan, la relation du sujet barré c’est-à-dire divisé par le Symbolique, et de l’objet perdu, donc réel, dans le Réel, objet porteur de la fonction du plus-de-jouir.

Cette fonction du plus-de-jouir, la structure du discours du Maître l’inscrit comme manque, ou dit autrement, ce plus-de-jouir de l’objet a est mis en place, produit par la castration, mais c’est un objet que le sujet ne pourra jamais atteindre.

Le discours de l’Hystérique

Maintenant je vais vous parler de la structure du discours de l’Hystérique, qui est aussi le discours du sujet.

Le discours de l’Hystérique se déduit du discours du Maître par un quart de tour. Ce discours, je vous ai dit qu’il permet de dégager des faits de structure.

Lacan dira également que ce discours est celui de l’analysant, il y a “hystérisation” du discours, induite par la règle même de la cure dans l’association libre, l’analysant s’adressant dans le transfert, adressant ses signifiants au sujet supposé savoir. Ses signifiants en tant qu’ils sont aussi ceux de l’Autre puisqu’ils lui viennent de l’Autre du langage.

Dans ce discours, le sujet divisé, qui fait la vérité du maître dans le discours du Maître, vient en place d’agent du discours, et s’adresse, interpelle le S1, signifiant énigmatique, donc appel à l’interprétation avec en place de production, donc aussi en position de plus de jouir, S2 le savoir.

Ce savoir produit porte sur la perte de jouissance entraînée par la répétition signifiante, la perte entre S1 et S2.

L’hystérique veut un vrai maître, un vrai S1, qui se suffit à lui-même à la limite, qui pourrait se signifier lui-même, pas besoin du S2 pour fonctionner, et que sur ce S1 elle puisse régner, se l’approprier. Or ce qui lui est proposé ce n’est que le S2, savoir sur la jouissance, en perte de jouissance.

L’hystérique vise la jouissance absolue d’un phallus qui ne serait pas du semblant, ce qu’est le phallus : un semblant dès lors qu’il n’est qu’un signifiant. La jouissance phallique en tant que jouissance absolue est exclue, c’est un impossible.

On peut ainsi dégager ce qu’est l’hystérie dans la clinique, de cette structure du discours de l’Hystérique.

Le signifiant phallique, il faut le voir comme un tiers, un opérateur qui permet cette répétition du S1 auprès du S2, donc qui permet la vectorisation des chaînes signifiantes, c’est à cela que sert la castration. Mais en tant que tel le signifiant phallique ce n’est qu’un opérateur qui, empêchant la collapse S1-S2, ménage la faille d’où émerge le sujet.

Le signifiant phallique désigne le lieu du refoulement du signifiant et c’est de ce trou du refoulement que le S1, métaphore 1ère, tire son autorité, et par la répétition auprès du S2, des chaînes signifiantes constitutives du S2. Le S2 est disjoint du S1, mais c’est de celui-ci que le S2 qui prend valeur en tant que savoir.

Le signifiant phallique est ce lieu du refoulement, cela signifie que pour une femme en position hystérique qui voudrait un vrai maître sur lequel elle puisse régner, un vrai signifiant-maître qui commande “pour de vrai” sans perte, donc finalement se retrouvant à l’identique, le même, dans les chaînes signifiantes, et comme elle a affaire au S2 (ce qui est dicté par la structure), paradoxalement cela la conduit à un surplus de refoulement du S1 en tant qu’il se répète en perte, au profit d’un savoir S2 qu’elle voudrait total.

Et comme elle refoule le S1 en tant que véhiculant le non-rapport (c’est l’évitement de la castration), du même coup c’est le S2 son savoir inconscient, S2 solidaire du S1, qui va s’en trouver affecté, affaibli, et sur lequel elle ne pourra pas trouver appui dans les chaînes signifiantes.

Or la finalité du discours de l’Hystérique pour le sujet en place d’agent, c’est le S2 en place de plus-de-jouir, la production du S2 auprès duquel le sujet se trouve représenté par S1.

On voit donc la difficulté dans laquelle l’hystérique se trouve si elle vient contester au S1 son autorité, si elle le refoule.

Elle fait la confusion entre le signifiant-maître, le S1 qui est un fait d’écriture, et une figure de maître qu’elle identifie dans la réalité. Et elle ne peut plus, en tant que sujet, s’appuyer sur le savoir et la jouissance phallique permise au sujet.

La jouissance phallique permise car mise en place par la castration, une jouissance limitée par la structure du fantasme et du désir puisque l’objet est perdu, et qui implique aussi le devoir phallique, c’est-à-dire de suivre ce qu’il prescrit.

Si elle désavoue le S1, son corps, corps organisé par les signifiants S2 qui lui donnent sa consistance en quelque sorte, va se trouver du même coup être le siège d’une jouissance qui n’est pas vectorisée, qui n’est pas tempérée, limitée par la jouissance phallique. Puisque ce S1 refoulé va faire retour mais de manière non ordonnée par la jouissance phallique, dans les chaînes inconscientes S2 et c’est de cela dont l’hystérique va se dire malade.

Je vous ai parlé de consistance du corps, c’est le signifiant phallique, et donc le S1 répété auprès de S2, la chaîne vectorisée par la castration qui prescrit par la jouissance phallique, c’est ce qui permet une consistance, une certaine unité du corps, celle qui se reflète dans le miroir au stade du miroir, et aussi un bon fonctionnement physiologique, moteur, etc., de ce corps. Le bon fonctionnement qui est attendu de notre corps. Le symptôme hystérique, qui résulte du retour du refoulé, des signifiants refoulés, va donc mettre en scène un corps morcelé, qui a perdu son unité, découpé non selon l’anatomie mais selon des signifiants qui ne sont pas ordonnés phalliquement.

Dans le discours de l’Hystérique il y a la place de la vérité du sujet, place occupée par le petit a (plus-de-jouir du maître dans le discours de la structure langagière). La vérité du sujet c’est cette substance hors d’atteinte car dans le Réel, l’essence de son être, le plus-de-jouir qu’elle voudrait être pour le S1, être l’objet de son désir.

Dans le séminaire L’envers de la psychanalyse, Lacan dit, en évoquant le rapport homme-femme, que dans le discours de l’Hystérique, pour le sujet $ il s’agit : « qu’il y ait un homme animé du désir de savoir (respectivement S1 et S2), de savoir de quel prix elle est elle-même, cette personne qui parle. En tant qu’objet a, elle est chute de cet effet de discours. Ce qui importe à l’hystérique c’est que l’autre qui s’appelle l’homme sache quel objet précieux elle devient dans ce contexte de discours. » (L’autre qui s’appelle l’homme mais aussi l’Autre du Langage)

Mais l’impossibilité dans le discours de l’Hystérique, puisque je vous ai dit que chaque discours traduit une impossibilité par la disjonction de la place de la production et de la place de la vérité, dans ce discours c’est l’impossibilité pour le savoir, S2, savoir sur la jouissance, à venir atteindre le petit a, c’est-à-dire que ce savoir sur la jouissance est impuissant (pour le sujet c’est d’une impuissance donc il se plaint, pas d’une impossibilité) impuissance à savoir, à dire ce qui peut causer le désir du sujet en tant qu’il est le désir de l’Autre. Pour une femme c’est l’objet qu’elle pourrait être pour soutenir le désir de l’Autre et dans cette impossibilité on peut voir là une cause de son insatisfaction fondamentale. Mais il est important de bien comprendre que l’hystérique est soumise à la structure de son discours et que c’est une nécessité pour elle d’interpeller le S1, en tant que signifiant et non comme personnage de sa réalité, puisque c’est lui qui pourrait lui permettre de retrouver l’objet à cause du désir.

Dora

Je vais évoquer Dora, puisque c’est notre sujet d’étude cette année, en relation avec l’écriture du discours de l’Hystérique. Alors on voit justement Dora venir soutenir le désir de son père, cette figure du maître défaillant sexuellement, en favorisant la relation entre son père et Madame K. Madame K est à la place de l’objet a pour Dora. Lacan dira que Madame K est la question de Dora, c’est la question “qu’est-ce que c’est être une femme”. C’est l’interrogation sur cet objet précieux venant causer le désir de l’Autre, le désir d’un homme, pour elle Dora. Et cette question c’est à travers le désir de son père pour Madame K qu’elle la pose. Pour Dora, Madame K possède ce savoir sur la jouissance, elle sait ce qu’il en est de ce petit à cause du désir.

Et du même coup on voit que c’est le discours de l’Hystérique qui fait que le maître est châtré. Que c’est un Un, ce S1, un Un à qui il manque un petit quelque chose : le a, le a soustrait au Un. Ce terme de “châtré” évoque plus une privation (reflet de ce dont elle se trouve affectée) qu’une une castration c’est-à-dire la prise en compte du manque symbolique. C’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin d’aller chercher une figure paternelle défaillante mais néanmoins idéalisée. On voit que c’est au niveau de la structure discursive même que le signifiant-maître est manquant. L’hystérique en fait une figure idéalisée, elle s’octroyant le rôle de ce petit quelque chose qui vient ranimer le désir défaillant du maître.

Le burn-out

Alors pour en venir maintenant à ce symptôme, ou plutôt ce syndrome nommé dans le discours social : le burn-out.

Je vous ai dit que le symptôme hystérique, qui résulte du retour du refoulé, des signifiants refoulés, va mettre en scène un corps morcelé, qui a perdu son unité, découpé non selon l’anatomie mais selon les signifiants. Avec ce flottement dans l’arrimage phallique, le corps est le siège d’une jouissance qui n’est pas vectorisée, qui n’est pas tempérée, limitée par la jouissance phallique. Les signifiants refoulés qui font retour véhiculent un surplus d’excitation qui va venir perturber le corps dans son fonctionnement. C’est de cela dont l’hystérique va se dire malade : jouissance dont témoigne le symptôme, et qui n’est pas plaisir au sens de cette moindre tension décrite par Freud.

Les symptômes hystériques sont nombreux mais je vais me limiter à ces nouvelles nominations par le discours social et médical actuel. Je vais nommer sans m’y arrêter la fibromyalgie, la bipolarité j’en dirai quelques mots, et je vais vous parler du burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel. Ce syndrome a été décrit dans les années soixante-dix aux USA, d’abord dans les professions « aidantes » et de soin.

Voilà la description :

« Leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte »

« Un épuisement des ressources internes de l’individu et la diminution de son énergie, de sa vitalité et de sa capacité à fonctionner, qui résulte d’un effort soutenu déployé par cet individu pour atteindre un but irréalisable et ce, en contexte de travail, plus particulièrement dans les professions d’aide »

Le concept évolue :

C’est la manifestation d’une expérience psychique et physique négative, liée à un stress émotionnel chronique causé par un travail face auquel l’individu n’arrive plus à s’adapter.

Les symptômes clés sont une triade pathognomonique finale (Maslach et Leiter) :

1) épuisement émotionnel (anesthésie, froideur)

2) dépersonnalisation ou déshumanisation (cynisme)

3) dégradation du sentiment d’accomplissement personnel au travail (frustration, démotivation, inutilité)

Les signes sont discrets au début :

- signes cognitifs (attention, concentration, mémorisation, manque du mot, lapsus)

- diminution de la performance… et auto-accélération avec une augmentation de l’implication et de la présence au travail pour tenter de retrouver efficience et satisfaction antérieures

- fatigabilité

- déni du surmenage et de la surcharge de travail

Puis les symptômes physiques s’amplifient :

- troubles du sommeil

- fatigue chronique résistante au repos

- céphalées, vertiges, douleurs généralisées, tensions musculaires (rachis), etc.

Également des symptômes psycho-comportementaux :

- irritabilité, accès de colère, sensibilité accrue aux frustrations

- labilité émotionnelle importante

- perte de plaisir au travail

- recours addictifs

- dégradation de la relation médecin/patient et de la qualité des soins

- dégradation de la qualité du travail

- vécu de perte de maîtrise de son travail, de vieillissement, de dépassement par rapport à l’évolution du métier

- replis sur soi, absentéisme

On voit que c’est un catalogue de ce que l’être humain peut exprimer comme souffrance.

Finalement la seule spécificité c’est que c’est décrit en lien avec le travail.

C’est dans le travail que ce syndrome surgit de façon prépondérante et c’est la cause indiquée par le patient, même si les signes se retrouvent dans la vie quotidienne à la maison. Ce syndrome du burn-out touche les deux sexes, mais c’est à travers le discours de femmes venues m’en parler que je vais l’aborder. C’est bien sûr un parti pris. Dans la clinique le sujet hystérique est le plus souvent une femme, mais ce peut être aussi un homme qui occupe cette place, et évidemment il n’est pas là en position masculine.

Des phrases qui reviennent toujours pour ces patientes : elle n’a pas envie d’y aller, et parfois elle ne peut plus y aller au travail. Elle est trop lente, elle ne comprend pas ce qu’on lui demande, elle regarde son ordinateur et rien ne fait sens. Elle ne comprend pas et c’est trop d’effort pour comprendre, elle n’a pas ou plus les capacités. Son cerveau est ralenti, elle n’arrive plus à penser, ses pensées sont confuses, etc.

C’est un état de sidération des fonctions intellectuelles. C’est la sidération de l’intellect en tant qu’organe dont la fonctionnalité, fonctionnalité normalement fluide et non marquée par la stase, et la physiologie s’en ressentent. Par analogie avec une paralysie de la fonction motrice on peut dire qu’elle souffre d’une astasie-abasie intellectuelle. (Impossibilité de garder la station debout (astasie) et de marcher (abasie). En psychiatrie cette manifestation classique du syndrome de conversion est caractérisée par l’absence d’atteinte organique et la possibilité de mouvements actifs en dehors de la marche).

Ça ne marche plus au travail, et ça ne marche plus en général également à la maison, dans la sphère familiale.

Ce symptôme surgit quand elle est en difficulté dans son travail et que l’autre ne répond pas comme elle le souhaite, est indifférent, ou qu’elle s’estime blessée par le comportement ou les propos de l’autre. C’est donc souvent à la faveur d’une blessure narcissique, où ce qui est ressenti comme tel, à la faveur d’une surcharge de travail par exemple, imposée sans préoccupation de ce qu’elle ressent, ou un entretien annuel dans lequel son travail n’a pas été valorisé, ou un point de son travail où elle se sent en difficulté, alors apparaissent les symptômes.

Il y a en tout cas toujours une revendication, mais parfois voilée, qu’il faut aller chercher, sous-jacente à la plainte, concernant la manière dont elle est traitée. Et il ne s’agit pas de savoir si c’est justifié ou non. Je m’explique : bien sûr il est primordial d’entendre la plainte, comment cette plainte s’insère dans les conditions qu’elle rencontre à son travail, et dans ses relations avec les autres, semblables ou supérieurs. Mais mon propos ce soir n’est pas une sociologie du travail, mais de repérer comment s’insère ce symptôme pour le sujet divisé à travers ses coordonnées dans le discours, quand ce sujet est pris dans le discours social moderne. Mais bien sûr l’organisation moderne du travail, conditionnée par nos petites structures là au tableau, intervient, et il est sûr que le souci premier des entreprises n’est pas la subjectivité des employés. Si j’ai le temps je parlerai à la fin de mon exposé du discours Universitaire, « régression » du discours du Maitre ?

Pour certaines de ces femmes qui ont fait des études scientifiques, qui sont ingénieurs par exemple, des entreprises d’informatique il y en a beaucoup à Grenoble, qui sont cadres supérieurs comme on dit, des femmes très investies dans leur travail, il y a un enjeu pour elles à réussir, à tenir cette place sociale, à être à la hauteur et en arrière-plan, il y a souvent la figure paternelle, que lui-même soit ingénieur ou que par son travail elle accède à une place sociale supérieure à celle du père, de toute façon c’est toujours par amour de cette figure paternelle idéalisée.

Bien que ce ne soit plus le discours traditionnel de la société patriarcale du temps de Freud, quand on écoute parler ces personnes on entend toujours la revendication plus ou moins exprimée à l’égard de celui ou celle ou ceux qui font autorité pour elle.

Une patiente parlait de son père autoritaire. Pour ce père “il ne fallait pas trop savoir”. Une fois adulte, elle a accumulé des livres en rapport avec sa profession donc contenant un savoir professionnel, livres donc elle ne pouvait se défaire bien qu’elle n’en n’ait plus l’usage.

La place qu’elle occupe est une place dans laquelle elle ne se sent pas légitime, mais sans pouvoir l’expliquer. Place occupée indûment inconsciemment car elle voudrait, devrait, s’y trouver à l’égal d’un homme, entre semblables. Dans ce mode de lien social c’est le sexuel au sens du non-rapport qui est refoulé. C’est cette illégitimité qu’elle interprète comme non reconnaissance par l’autre, petit autre et grand Autre. L’illégitimité c’est quelque chose qui se retrouve très souvent dans le discours de ces patientes.

Une femme en position féminine doit renoncer à s’autoriser du signifiant-maître, le S1, par contre elle peut alors se réclamer du signifiant Autre, S2, trouver appui avec lui. Le pacte symbolique le plus évident par lequel S1 authentifie la valeur phallique de S2 est traditionnellement une liaison, le mariage, la maternité. Ainsi une place sexuée spécifique lui est reconnue, bien qu’il n’y ait pas pour elle de référent spécifique dans l’Autre. (“La femme n’existe pas”)

Mais le signifiant phallique peut accepter n’importe quelle signification, par exemple le statut social apporté par le travail.

Et dans notre société moderne, dans notre discours social actuel, une femme est conviée à un engagement socioprofessionnel à l’identique d’un homme, du coup sans reconnaissance d’une place sexuée spécifique.

Elle se trouve là dans un champ dans lequel elle doit renoncer à sa position féminine, position Autre, et trouver une valorisation en tant que sujet grâce à des valeurs de travail, valeurs phalliques n’assurant pas une place sexuée féminine.

Elle peut tout à fait y trouver valorisation et reconnaissance mais pas en tant que femme, et c’est ce qui est promu par notre discours social actuel, discours sur l’idéal égalitaire et la parité. Ce n’est pas simplement la revendication hystérique qui la pousse à faire l’homme, comme on dit, elle peut y être poussée par nos idéaux, d’autant que du fait de ce S1 signifiant énigmatique qu’elle interroge, appel à interprétation je vous ai dit, elle peut s’accrocher aux signifiants qui ont cours dans notre social actuel.

Mais à la faveur de circonstances particulières comme je le disais précédemment, d’un petit ou d’un grand dommage, c’est là qu’elle va se retrouver illégitime à cette place d’homme, et du coup la non-reconnaissance donc elle va souffrir, c’est la non-reconnaissance du féminin, de ce quelque chose d’Autre qui la concerne, elle,, dans un monde du travail où elle se retrouve confrontée à des petits chefs qui sont dans la rivalité, qu’ils soient hommes ou femmes. Puisque ce quelque chose d’Autre n’est évidemment pas concerné par la rivalité phallique.

Cette non-reconnaissance du féminin dans le monde du travail c’est le trauma de l’hystérique d’aujourd’hui. Donc bien qu’investie dans son travail, et cet investissement est constamment retrouvé, ça devient insupportable et elle doit rompre, ce qui entraîne bien sûr en plus sa culpabilité.

Une femme n’est jamais totalement en position masculine ou totalement en position Autre, elle passe souvent de l’un à l’autre, selon les circonstances de sa vie.

Dans le monde du travail, en particulier de l’entreprise, il vaut mieux qu’elle ne s’assigne pas à une place toute du côté phallique, mais au contraire comme pas-toute pouvant jouer sur les deux côtés.

Parce que vouloir assurer une position masculine en rivalité avec les petits autres, c’est une position fragile, et le risque est qu’elle se sente démasquée quand ça ne va plus.

Alors cette phase de “maladie”, c’est comme cela que cette immense fatigue, cet épuisement est vécu, je vous ai dit que cela arrivait en relation avec un affaiblissement de la vectorisation de la chaîne des S2 quand le S1 est désavoué.

Ces phases peuvent alterner avec des temps de sublimation où il s’agit de se faire l’instrument de la jouissance de l’autre, petit autre et grand Autre, mais instrument purifié, débarrassé du défaut du sexuel, au service exclusif de la jouissance du père pour obtenir sa reconnaissance.

Cette tentative échoue bien sûr, puisqu’il n’y aura toujours pas de référent spécifique pour elle dans l’Autre, ce qui provoquera le retour de la tonalité dépressive.

Ceci nous évoque une autre nomination actuelle dans le discours social. Cette oscillation entre exaltation et dépression, c’est ce qui, comme vous le savez, s’appelle aujourd’hui bipolarité. Nouvelle nomination d’un symptôme hystérique en tant qu’il n’est pas reconnu comme symptôme hystérique bien sûr, et en constante inflation.

C’est le côté dépressif installé, avec ce symptôme d’épuisement affectant la fonction intellectuelle et corporelle, en lien avec la non-reconnaissance du féminin dans le monde du travail, qui est qualifié de burn-out aujourd’hui.

D’une certaine façon on peut dire que c’est le discours social, porteur de l’idéal sur l’égalité des sexes, auquel elle fait objection par son symptôme.

Pour terminer, et je ne vais pas développer, mais pour ne pas limiter mon propos à la dimension féminine, je précise que la non-reconnaissance de l’altérité (en lien avec le Réel) constitutive de la subjectivité, une femme en est plus spécifiquement concernée. Mais vous voyez, bien indiqué par l’écriture du discours de l’Hystérique, que c’est le sujet en tant que parlant, quelque soit son sexe, qui peut en être affecté.

Dans l’Envers de la psychanalyse, Lacan parle du discours Universitaire d’une façon que je trouve très pertinente par rapport à l’actualité du burn-out. De ce discours, qui se déduit du discours du Maître par un quart de tour, Lacan dit qu’il s’appuie sur la dénégation actuelle du discours du Maître.

Dans ce discours, il y a déplacement et changement de nature du savoir, qui n’est plus un savoir “troué”, mais un “tout-savoir” qui vient en place d’agent, donc aux commandes et qui s’adresse à celui qui travaille, place tenue par l’étudiant ou le salarié, identifié à la valeur, c’est-à-dire à l’objet a “travaillant”. Le sujet “produit”, assimilé au petit a, est ainsi nié dans sa division même, ne pouvant plus se faire représenter depuis la faille d’où il émerge entre S1 et S2. Sous le tout-savoir, en place de vérité de l’agent, Lacan dit : « Il est bel et bien là lové le signifiant S1 du maître, montrant l’os de ce qu’il en est de la nouvelle tyrannie du savoir. »

C’est le “tout-savoir” à prétention scientifique des techniques managériales, des protocoles, de l’évaluation, savoir purifié car débarrassé de l’élément d’incertitude du facteur humain.