Conférence de Chambéry Mars 2009

Mon propos ce soir, (...) c'est d'essayer de faire entendre que de se tenir exclusivement à droite dans ce tableau de la sexuation, est tout simplement une aberration que la clinique bat en brèche. Plus précisément, je vais essayer de vous démontrer que l'aboutissement partiel à droite du tableau logique va être constitué par un long travail d'appropriation, laquelle appropriation n'aboutit pas dans l'hystérie, masculine ou féminine d’ailleurs. L'hystérie n'y parvient guère, et « guère » vous pouvez l’équivoquer… ! Parce qu'ils ou elles sont fixés sur la fonction du sujet, sujet pour une femme et/ou fonction phallique plus particulièrement chez l'homme. Ce que nous connaissons sous le terme de "mascarade" après l'article de Joan Rivière, tient tout entier dans ces deux lignes de défense, défense élevée par le sujet, défense élevée par la fonction phallique. Voilà deux formes symptomatiques que la cure n'a évidemment pas à combattre mais à amener ce sujet à parvenir à s'approprier d'une certaine façon.

Une amie me disait l'autre jour, sa crainte, au séminaire d'été, de voir le tableau de la sexuation devenir quelque chose de prescriptif. En effet, nous avons parfois l'occasion d'entendre : « Moi je suis à droite, moi je suis à gauche »… dans le tableau de la sexuation bien sûr. C'est la raison pour laquelle dans la conférence que j'ai faite à Paris début décembre, j'ai insisté sur l'appareil logique puisque ce tableau est exclusivement l'expression d'une logique que j'ai essayé de démonter quelque peu, au cours de ces dernières années dans mon séminaire. On a là un tableau qui est assez rigoureux et qui semble indiquer le chemin pour chacun et chacune.

En fait, les choses ne sont pas aussi simples et j'en prendrai pour exemple un journal féminin qu'on m'a montré récemment, où figurait un texte sur les hardeuses. Vous savez ce que sont les hardeuses ? Ce sont ces femmes qui pratiquent les scènes qui composent des films dits pornos ou érotiques. Déjà là, on peut dire que ce n'est pas une voie spécialement féminine. Il y a quelque chose dans cette pratique qui constitue, je dirais, un viol de quelque chose de sacré. D'ailleurs, les mères qui sont photographiées à côté de ces praticiennes, leurs filles, sur plusieurs photos se cachent le visage, ce qui montre bien, que malgré leur refus de désapprouver, elles sont quand même dans un souci bienveillant à l'égard de leur fille. Ce visage caché montre bien chez les mères qu'il y a quelque chose de l'ordre de la profanation. Et je dirais, même si vous faites la même chose dans vos alcôves, la même chose que ce qui est montré dans les films, il y a une différence sans doute importante, c'est que ça n'est pas justement la même chose, c'est-à-dire que la mise en scène sexuelle, et particulièrement pour ces jeunes femmes, a une autre signification. Peut-être qu'il nous faudra retravailler un jour cette notion du sacré, cette sorte de dernière barrière du sacré que Sade illustre dans son œuvre, il en laisse des traces à plusieurs endroits, et peut-être qu'étudier cette notion du sacré nous fera apparaître quelque chose qui concerne effectivement cette relation des hommes et des femmes. Je pense que l'article sur la honte, qui se trouve dans mon ouvrage, en est en quelque sorte un début. Peut-être aussi, — c'est une hypothèse que je soulève —, que la tentative de la part du Pape, de défendre — fort maladroitement d'ailleurs — une certaine notion de la sexualité, c'est peut-être justement qu'il tente de maintenir ce lieu sacré chez l'Homme dont il ne semble pas faire de doute pour le Vatican, qu'il est du côté sexuel justement.

Mon propos ce soir, et vous l'aurez compris avec cette introduction, c'est d'essayer de faire entendre que de se tenir exclusivement à droite dans ce tableau de la sexuation, est tout simplement une aberration que la clinique bat en brèche. Plus précisément, je vais essayer de vous démontrer que l'aboutissement partiel à droite du tableau logique va être constitué par un long travail d'appropriation, laquelle appropriation n'aboutit pas dans l'hystérie, masculine ou féminine d’ailleurs. L'hystérie n'y parvient guère, et « guère » vous pouvez l’équivoquer… ! Parce qu'ils ou elles sont fixés sur la fonction du sujet, sujet pour une femme et/ou fonction phallique plus particulièrement chez l'homme. Ce que nous connaissons sous le terme de "mascarade" après l'article de Joan Rivière, tient tout entier dans ces deux lignes de défense, défense élevée par le sujet, défense élevée par la fonction phallique. Voilà deux formes symptomatiques que la cure n'a évidemment pas à combattre mais à amener ce sujet à parvenir à s'approprier d'une certaine façon.

Freud, comme vous le savez sans doute, posait la question : « Was will das Weib ? » Ces trois W, comme dans l'adresse internet, ou « internénette », « Was will das Weib ? » Que veut la femme ? Et l'on peut se demander pourquoi, pour quelle raison cette interrogation a fait tellement problème dans le milieu analytique. La réponse est pourtant d'une simplicité biblique en ce sens qu'elle veut être reconnue. Et que c'est bien au niveau de l'être qu'elle veut être reconnue, accessoirement pour sa broderie, sa dentelle, son tissage comme Pénélope, pour sa cuisine, pour ses enfants, pour le grillon du foyer, pour son style, son écriture, ses petits mots, ses petits riens, son inventivité, son rire, sa beauté, avec un ou deux "t", sa bravitude, ses souffrances, sa mise en scène… voilà pourquoi les voies sont multiples ! Chacune essaye de se faire reconnaître au travers d'une de ses activités. Être, être reconnue, être, cela veut dire qu'il ne faut pas laisser passer la dimension de l'être, toute aussi fondamentale que la reconnaissance : elle veut être auteure, professeure, docteure qui la caractérise dans sa fonction. Cet être, quelle que soit la connotation, doit être reconnu en tant que féminine. Par exemple, être mère, c'est autre chose que d'avoir des enfants. Je pense que ceux qui s'occupent d'enfants ont parfaitement entendu la différence entre ces deux discours qui les déterminent. C'est déjà une manière précise de les reconnaître au sens de notre pratique, dans notre clinique.

Lacan a cette formule qu'il a écrite dans les années 58, 60, c'est-à-dire il y a un  demi-siècle : « Si les symboles n'ont d'autre prise qu'imaginaire — c'est-à-dire les qualificatifs que je viens d'énoncer tout à l'heure — c'est que probablement les images sont déjà assujetties à un symbolisme inconscient, lequel symbolisme inconscient rend opportun de rappeler qu'images et symboles chez la femme ne sauraient être isolés des images et des symboles de la femme. » [Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine, Amsterdam 1960]. Autrement dit, tout ceci vient se constituer dans l'Autre, dans l’Autre social, dans l'Autre du désir de l'homme, dans l'Autre du désir de la mère, etc. Il suffit de feuilleter une revue féminine et leurs publicités pour apercevoir la dynamique et la dialectique qui concerne le statut féminin fondamentalement partagé entre imaginaire, c'est-à-dire l'image, et le symbolique, c'est-à-dire la fonction qu'elle est censée représenter. Et que c'est dans ce double objectif que s'exerce sa démarche de reconnaissance et non pas comme simple cuisinière, comme je l'ai brièvement décrit tout à l'heure en superficie.

Dès lors, se pose pour nous la question : pour quelle raison est-ce qu'elle est dans cette obligation d'en passer par cette ruse typiquement féminine, qui n'est pas le témoignage d'une particulière malignité, mais qui est une contrainte spécifique à sa position. Et c'est le pourquoi de la question de Freud : ce qu'elle veut, elle ne le dira jamais directement, en revanche, elle l'exprimera pour le faire entendre indirectement. L'histoire du saumon et du caviar de "la belle bouchère" est tout à fait construit sur ce modèle-là ; et le fantasme "on bat un enfant", je vous en ai décrit l'an dernier à mon séminaire, le même type de dialectique, d'autant plus intéressant pour nous, ce soir, que ce fantasme, comme je l'ai souligné à l'époque, est fortement teinté du désir de reconnaissance. Et je vous rappelle la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, c'est que de ne pas avoir le phallus implique de passer par d'autres modes, d'autres voies, toujours au pluriel. Effectivement, le fantasme "on bat un enfant" est une voie d'accès à la position féminine, c'est d'ailleurs toute l'importance de cet écrit de Freud. Je n'insiste pas sur ce modèle car il ne fait qu'illustrer le stade final d'un long parcours, celui que vous dénommez l'œdipe. Le seul point que j'aurai à retenir pour l'intelligence de la suite que je vais tenter de décrire, est que dans ce fantasme, vous pouvez parfaitement apercevoir la disjonction du processus symbolique de celui de l'imaginaire. C'est ce premier fait, c'est-à-dire cette disjonction, on va dire presque forcée entre symbolique et imaginaire, c'est ce premier fait qu'il faut maintenir présent à l'esprit. C'est leur superposition également, leur divergence à la fois et en même temps leur interdépendance qui caractérise cette position féminine.

Prenons cet exemple si fréquent dans notre clinique, si manifeste, cet enfant non désiré, voire cet enfant à qui il a même été révélé par la mère, qu'il est là en dépit d'une tentative ratée d'avortement. Cet enfant du même coup n'est pas adopté. Et puis, à la suite, celle que nous entendons dans la cure, cette pente horrible où plus tard il sera irrésistiblement tenté par la mort. Nous percevons immédiatement dans ce cas cette superposition entre imaginaire et symbolique, c'est-à-dire l’imaginaire de cet enfant presque orphelin, rejeté et la recherche de mort qui constitue une trace symbolique, la marque de ce quelque chose non advenu qui imprime le mouvement mortel. Or qui y a-t-il entre ces deux termes, dont le second, le symbolique va se manifester comme une force, une tendance irrépressible, au-delà du principe de plaisir pour reprendre la formule de Freud ? Alors qu'y a-t-il entre ces deux termes dont le second va se manifester comme force et tendance irrépressible, marquant le destin du sujet ? Ce qu'il y a entre la marque initiale et le cours du destin ultérieur, c'est d'un côté un désir de reconnaissance et de l'autre une demande. À supposer qu'il y ait un conflit avec les parents sur l'un de ces deux termes, on peut assister à un profond remaniement de ces termes, naturellement associés ensembles avec ce trait particulier à rappeler, à savoir que le désir est déjà désir d'un sujet et que la demande, elle, à l'inverse, implique l'Autre. Ainsi, le résultat est soit la néantisation du sujet, soit rejet de l'Autre primordial avec pour conséquence un lourd handicap de la relation à l'autre, au petit autre. Et comme primitivement l'enfant est dans son impuissance totalement dépendant du système de la demande et donc de la parole de l'Autre, le trouble dans la demande va réversiblement atteindre l'articulation primitive du désir. En effet, cette demande que peut exprimer l'enfant est automatiquement doublée par la fonction du désir dans lequel désir, il y a lieu de situer le désir de reconnaissance. Une demande satisfaite est une modalité de reconnaissance, non pas d'un désir, mais de ce désir de reconnaissance. Et ceci est d'autant plus aggravé que primitivement l'enfant est dans une totale impuissance, c'est-à-dire qu'il est totalement lié à la réponse éventuelle de l'A(a)utre.

À ce niveau-là, nous sommes dans un registre non sexué, si vous voulez prégénital. En revanche, le lien érotique à la mère, par la médiation de l'objet oral par exemple, est là déjà présent de façon évidente et nous le savons par la pathologie de ce qui est appelé l'anorexie primitive, le corps à corps n'a plus lieu ou alors sur le mode d'emblée conflictuel de lutte à mort, puisque la vie de l'enfant dépend de cette demande orale. On peut émettre à ce niveau l'hypothèse que le désir qui se cache derrière la demande n'est pas reconnu ou entériné. Ceci nous amène à faire observer que si désir et demande sont à ce point, solidaires, un trouble d'un côté pour diverses raisons, aura forcément un impact sur l'autre terme. Et comme la demande passe obligatoirement par le défilé des signifiants, c'est déjà une certaine part de la chaîne signifiante qui s'en trouvera affectée, c'est ce qui va avoir pour conséquence qu'une frustration pourra être admise et intégrée ou qu'elle deviendra le témoignage d'une blessure narcissique insupportable.

Que nous révèle cet état concernant le féminin, je dis bien : prégénital, c'est-à-dire avant l'entrée en scène du sexuel ? Nous voyons que quelque chose se prépare dans la disposition du sujet où ce sujet aura la possibilité d'accepter ou de ne pas accepter la déception ou la désillusion et ceci avant, premièrement, l'entrée dans la sexualité et deuxièmement, avant avoir d'avoir pu appréhender de l'Autre son désir d'une manière articulée. En effet, l'enfant perçoit le désir ou le non désir de la mère, mais de la manière non articulée. Pour que ce soit une perception de manière articulée, il faudra attendre un petit peu encore. Enfin, l'autre conséquence sera que dès le départ va s'ébaucher une amorce de distinction entre la dimension imaginaire et symbolique. Que cette opération de déception, de désillusion, concerne d'une façon plus cruciale le côté fillette, est là quelque chose de tout à fait important qui nous montre dès le début, dans cette dialectique de la demande et du désir, que les avatars de cette dialectique vont se retrouver ultérieurement, vous le verrez.

La seconde étape si l'on peut parler ainsi, nous est dictée par ce que nous pouvons observer au niveau du rêve, à savoir qu'il est la réalisation d'une satisfaction plus ou moins complète d'un désir. Mais à cet endroit-là, il s'agit d'un désir tout à fait localisé comme nous l'observons. Et toute la finesse de l'affaire est de saisir que ce n'est qu'une mise en scène des conditions générales du désir, désir qui cherche là aussi à se faire reconnaître d'une manière voilée, en tant que ce désir-là a participé à l'aventure primordiale de ce quelque chose qui s'est passé dans l'enfance et qui est refoulé. Et donc s’il se construit, ce chiffre, sur l'axe métaphoro-métonymique, c'est celui qui intéresse cette fois-ci, le désir en tant qu'il est celui du sujet inconscient, que donc il se déroule dans une dimension symbolique et que l'objet présenté dans le rêve, comme objet métonymique, est là, la face imaginaire de la contrainte symbolique sous-jacente. Le phallus, par exemple, dont l'objet présenté dans le rêve est la métonymie, le phallus reste voilé et il est là, lui aussi, le référent d'essence symbolique. Et vous voyez, dans la photographie des mères des hardeuses justement qui se voilent le visage, précisément l'interdit porté sur le phallus qui doit rester voilé.

Il nous faut revenir sur ce que j'ai appelé l'aventure primordiale du désir, celle de l'enfance pour d'abord en reconnaître le socle. Partons de cet énoncé simple : «Je veux ceci, je veux cela», lequel énoncé peut exprimer plusieurs choses : peut-être un besoin physiologique pressant, une nécessité vitale, (boire ou manger), il peut signifier également quelque chose de plus complexe, par exemple l'intrication d'une demande et d'un désir, à savoir d'une demande qu'il a des plus pressantes, et qui est modelée par un désir ou inversement : il s’agit d’un désir dépendant d’une demande. La troisième chose que cela peut exprimer est que pour l’enfant, cet énoncé l’assigne à une dépendance, dépendance à un autre et plus particulièrement au désir de cet autre, ici en l’occurrence la mère. Les premières manifestations de la volonté contenue dans le «je veux» chez l’enfant, sont par conséquent appendues au désir de l’Autre, l’Autre symbolique, au désir de l’Autre qui va y satisfaire ou non. Désormais, toutes les demandes de l’enfant vont être calculées à partir de ce désir de cet Autre dont il dépend. C’est ici le premier champ de déploiement des gratifications, des agressions, des soins, des fixations qui vont tisser la relation du sujet à l’Autre. Il n’y a pas seulement le désir d’un objet, il y a aussi le désir d’être désiré par l’Autre, ou bien si l’on veut, que l’objet du désir soit précisément d’être désiré. Et encore plus loin, que désormais, toute demande ou que tout désir de l’enfant reviennent à être désiré. Nous pouvons pousser la chose à l’extrême et dire que le désir d’être désiré soit élevé désormais à la condition absolue.

Sous ces formulations, nous voyons se dessiner l’ébauche d’un carrefour déjà possible pour la position de la petite fille, bien avant l’entrée en jeu du sexuel de manière concrète. Ainsi, le désir du sujet est modelé dès le départ, selon les conditions d’une demande, inscrite au fur et à mesure de son histoire dans les péripéties des avatars de la constitution du désir en tant qu’il est soumis à la loi du désir de l’Autre. C’est dans ce point du désir de l’Autre que la psychanalyse, comme vous le savez, a porté tout l’accent sur ce rapport primordial à la mère ; et ce ne sont pas tant les frustrations ou les satisfactions expérimentées par l’enfant qui constituent l’essentiel, c’est ce que l’enfant a visé très précocement et a repéré dans ce désir de l’Autre qui est le désir de la mère. C’est à savoir qu’il a réussi à se faire reconnaître dans ce désir de l’Autre ou qu’il s’est offert à  devenir ce quelque chose qui est un X visé par le désir de la mère et que dès lors, il ou elle, sera devenu ce qui répond ou non à être — je ré-insiste — à être cet X du désir de la mère. Il est évidement prévisible que lors de cet échange entre l’enfant et la mère, sur fond de cette dialectique désir et/ou demande, les occasions de déception, de désillusion peuvent être nombreuses. Précisons aussi que cet X qui est l’objet du désir de l’Autre maternel, c’est le phallus ! C’est bien pourquoi Lacan l’écrit, dans le tableau de la sexuation, Φ (X) , phallus de X, Jouissance de X et que cet X concerne pour elle, la fille, son être, comme je l’ai indiqué au départ, être, être reconnu. Il y a donc désir de reconnaissance dans l’être, du côté du sujet féminin et désir d’être reconnue, qu’elle soit reconnue comme telle, fillette, avec éventuellement sa spécificité, celle de ne l’avoir pas.

Dans cette seconde étape que j’ai essayé de vous détricoter — c’est un découpage qui est strictement à visée didactique — dans cette seconde étape existe par conséquent, une ébauche possible d’existence du féminin, sous le couvert de cette déception intériorisée et acceptée. Mais tout ceci se développe dès ce temps, toujours dans une situation de concurrence, de compétition, vis-à-vis d’un terme tiers qui est non seulement le phallus, celui du désir de la mère, mais également vis-à-vis du père et là, de façon bien plus concrète puisqu’il est censé en être le détenteur. Il est admis dans le savoir psychanalytique — et c’est vraiment le seul point sur lequel l’ensemble des auteurs sont d’accord, aussi bien Freud, que Lacan et tous les autres — que l’entrée dans le sexuel se manifeste chez la fillette en tant qu’elle désire la mère phallique et qu’elle la désire de façon masculine, c’est-à-dire comme un garçon. C’est en vertu de son désappointement qu’elle se tourne vers le père en tant qu’elle attend de lui un enfant, comme dans l’histoire de la jeune homosexuelle, qu’elle attend donc de lui un enfant, ce qui est assurément impossible qu’elle l’obtienne. Comment donc, en faisant toutes ces démarches, de désirer comme un garçon la mère et ensuite de se tourner vers le père et d’être affrontée à cet impossible, comment à partir de là pourrait-elle occuper une position féminine ? Eh bien à cet endroit-là, c’est un des défauts manifestes de la référence aveugle à l’Œdipe. C’est que cette expérience vient d’ailleurs. À savoir que dans la dialectique de la demande infantile, la petite fille, elle, elle demande tout, comme nous l’expérimentons. Cette demande est impossible à satisfaire, c’est cet impossible-là qui peu à peu, fait rentrer la fillette dans une situation normativée. Par cette ouverture à l’impossible, de façon consentie, quelque chose parvient à s’introduire qui est de l’ordre du manque symbolique. Ce manque signifiant est ce qui va mettre la distance nécessaire de la demande du sujet à son désir et qui va lui permettre d’entrer dans le cycle des échanges et de l’alliance et où la fillette ne peut que s’accepter comme élément symbolique de l’échange. C’est par cette voie détournée au niveau de son désir et devant toujours rester à une certaine distance de l’objet désiré, qu’elle va retrouver quelque chose au niveau signifiant et dont elle a été amputée, à savoir, le terme même qui avait introduit sa demande : un manque, son manque. C’est là l’opération symbolique par excellence qui lui permet d’advenir à sa position féminine.

Pour le garçon, en deux mots, le caractère monomaniaque de son désir, cette monomanie est, bien entendu, son point faible. Autant il réussit facilement à transiter dans toutes ces dialectiques, autant pour lui c’est une impasse qui va le mettre dans une certitude… que les femmes appellent souvent une certitude un peu imbécile, quoi ! Pour la fillette, le caractère subtil de la chicane par laquelle elle doit passer et le fait que l’abord du phallus s’opère de façon distanciée, à cause de ces impossibles dans son désir, entraîne ce fait qu’elle n’est pas-toute, comme le dit Lacan, qu’elle n’est pas-toute vouée à la jouissance phallique et au désir qui l’accompagne. Elle est orientée par une jouissance Autre qui n’est donc pas phallique mais corporelle. Cette jouissance Autre réalise chez elle, une certaine liaison entre jouissance narcissique, jouissance pulsionnelle et de manière secondaire seulement, parfois, avec la jouissance phallique. Cela c’est le dispositif complexe, ce que j’avais appelé à l’époque "les trois racines du désir" et ce dispositif est dialectisé essentiellement, toujours, dans l’être chez elle.

Ma conclusion, ce n’est donc qu’en suivant l’axe du désir dans nos cures que quelque chose de la spécificité féminine parvient à être dégagé. Mais c’est aussi pour s’apercevoir que le désir féminin est divergeant, profondément dans sa nature, sa mise en place et son objet, ou si vous voulez, profondément centrifuge.

Il y a dans mon propos deux voies que je n’ai pas évoquées, ni décrites et que j’évoque simplement faute d’avoir le temps matériel pour en parler. C’est la question de l’identification chez la femme en tant qu’elle est une métamorphose de l’amour. Et c’est ici la possibilité aussi, de s’identifier à son propre sexe en tant que lié à ce moment de la privation initiale. Ici encore, cela peut être pour elle, concernant le père, un point d’arrêt, de fixation ou à l’inverse un point de dépassement possible de cet impossible évoqué tout à l’heure. Enfin, la question qui découle de la précédente, à savoir, tout le champ des identifications sociales qu’il faut considérer comme tout le chemin qu’elle a à parcourir et qui va de la privation, justement, aux divers modes d’Idéal du moi. Eh bien, en raison de l’investissement narcissique qui est le sien, ce parcours et cet aboutissement à ces différents modes d’Idéal du moi, prennent toute leur valeur. Ces remarques importantes en ce point, c’est que ces identifications sociales se déroulent indépendamment du père ou de la mère et indépendamment de son histoire.
J’ai essayé de vous faire le catalogue de cinq ou six occasions pour la fillette d’investir la position féminine mais également cinq ou six occasions pour la rater. Je vous ai montré chaque fois, ou simplement suggéré, qu’à chaque reprise, c’est dans une dialectique entre imaginaire et symbolique que se joue l’affaire essentiellement. Et c’est ce point-là qu’il faut retenir : c’est non pas l’écart entre imaginaire et symbolique mais leur étroite dépendance chez elle. Je finirai en disant que ce n’est qu’en suivant les signes, les insignes, les marques et les masques symboliques aussi de son désir à elle que l’analyse peut contribuer à sa reconnaissance dans son être. Voilà.

Vous savez la psychanalyse a beaucoup hésité, pataugé sur cette position féminine. Elle a eu beaucoup de difficultés à donner un statut, non pas à la femme mais simplement à la notion de féminité. Et elle a eu beaucoup de difficultés pour une raison très simple, c’est qu’elle partait toujours de la différence anatomique, ce qui la rendait totalement aveugle, sourde à ce que sont les caractéristiques de la démarche féminine.
Je voudrais en prendre un exemple qui est assez amusant : comme vous le savez, il y eut la fameuse question de la jouissance clitoridienne. Et l’avis de Freud qui disait que l’accès à la féminité, c’est lorsqu’il y a migration de la jouissance clitoridienne à la jouissance vaginale… C’était typiquement une pensée médicale bien sûr et aussi une pensée masculine. En fait, c’est beaucoup plus simple. Le bonhomme, sa jouissance est externe à son corps, ça n’a rien à voir avec son corps à la limite, c’est comme s’il était coupé de son corps. Alors que pour une femme, la caractéristique de son orgasme est qu’il est non localisable d’une manière générale ! Même si la copine de Lacan avait trouvé le point G. Je ne sais pas ce qui lui a pris à cette pauvre Dolto de susciter un point particulier, c’était peut-être son truc ! A chacune son truc… En tous les cas, on entendait bien dans la proposition de Dolto de nouveau cette localisation anatomique. Eh bien, elle est interne tout simplement, à l’opposé du garçon. C’est dire comment tout cela a été d’une difficulté énorme, insoluble à un certain point, qui fait que nous sommes là avec Lacan, mais quand même depuis une cinquantaine d’années ! Il faudrait commencer à se réveiller et à changer nos modalités de réflexions ! Je n’ai pas dit que notre réflexion est aboutie, mais au moins, commencer à prendre les énoncés de Lacan un peu au sérieux et toutes les observations cliniques que nous avons aujourd’hui, leur donner un cadre de compréhension pour cette question de la position féminine. Nous ne sommes pas totalement dégagés de toutes difficultés et vous pouvez aisément prendre le risque de dire quelque chose dans ce domaine…

* * *


C. Rivet : J’aurais souhaité que vous précisiez un point, vous parliez de l’identification sociale qui devrait se faire en dehors du père et de la mère, j’aimerai bien que vous précisiez ce point.

Jean-Paul Hiltenbrand : La raison en est bien simple. Dans tous les échanges dialectisés de la fillette avec sa mère, vous n’apercevez, en dehors de cette visée de la reconnaissance, vous n’apercevez aucun objet. Sauf bien sûr, le passage par une pulsion, comme l’orale que je vous ai citée. Mais autrement il n’y a pas d’objet spécifique qui se dégagerait de cette dialectique avec la mère, voire même avec le père, à propos de ce qui caractériserait son désir. Par conséquent, il n’y a pas de point d’appui. Et donc la voie la plus humaine est de tenter des modalités d’identification à d’autres ou alors au message que l’Autre, l’Autre social peut introduire ou provoquer. D’ailleurs le but non avoué des revues féminines, c’est cela : « Tiens, va donc t’identifier à ce truc-là, prends ceci, prends cela…etc. » C’est une espèce d’invitation à une identification brute et puis, il y a l’autre dimension, c’est-à-dire l’invitation à se maquiller, à se parer, à s’habiller comme ce qui serait adéquat au désir de l’homme. Il y a effectivement, dans la position féminine, quelque chose qui n’est qu’une tentative, c’est une tentative de réussir l’opération qu’elle a faite avec la maman : être cet X du désir de l’Autre. D’ailleurs, s’il y a quelque chose que nous entendons le plus fermement dans notre clinique, c’est cette identification. Alors-là, ce n’est pas exactement une identification au sens analytique du terme, mais une tentative d’assimilation à l’objet du désir de la mère. Et c’est la raison pour laquelle, comme le signale Freud, que dans sa relation à l’homme, elle va faire à l’homme les reproches qu’elle faisait précédemment à la mère. C’est parce que l’effort qu’elle fait pour être adéquate à l’objet du désir de l’homme est le même effort que celui de son adéquation à l’objet du désir de la mère. C’est pour ça aussi qu’elle est objet d’échange, qu’elle peut, qu’elle doit d’une certaine façon, se constituer comme objet d’échange, objet symbolique d’échange.
Il y a dans cette distribution aussi bien originaire - et celle-là est antésexuelle, bien avant la sexualité - évidement, les identifications sociales vont être dictées par un courant culturel, par une certaine reconnaissance dans son travail, de sa position sociale, d’un certain dynamisme, d’une certaine réussite parmi les hommes…etc. Ces identifications ne sont pas là parce qu’elle a ouvert une revue, elles sont toujours dictées par un désir qui est le désir de l’Autre même si cet Autre n’est pas personnifié, n’est pas incarné.
Ce que je racontais l’autre jour à mon séminaire, ces choses absolument stupéfiantes : vous traversez toute l’Europe, vous trouvez dans toutes les capitales, les mêmes filles habillées de la même façon, maquillées de la même façon, vêtues par les mêmes marques… C’est quand même quelque chose ! Que vous alliez en Russie, dans un pays de l’Est, à Bruxelles ou à Paris, c’est pareil ! Vous les reconnaissez, elles sont là. C’est plus la peine de voyager puisque vous ne pouvez plus être dépaysés, ce sont les mêmes ! C’est comme lorsque vous ouvrez une revue féminine, ce sont les mêmes modèles… j’exagère un peu parce qu’il y a des traits différents d’un pays à l’autre mais grosso modo, nous sommes là-dedans. Comment est-ce possible, comment est-ce pensable ? Ce n’est pensable que par la force de cette identification, je le précise, pas imaginaire, elle est de façon latente, imprimée d’une manière symbolique.

Question : L’identification sociale c’est donc une identification à l’objet symbolique ?

Jean-Paul Hiltenbrand : Oui, c’est cela qui le conditionne. Ce n’est pas l’identification à l’objet symbolique justement parce que l’objet symbolique, elle va le constituer dans sa relation avec la mère, j’ai bien précisé que les identifications postérieures et sociales sont indépendantes de mère et père, de leurs vœux, de leur culture, de leurs souhaits, de leurs désirs. Vous pouvez constater un peu partout et les adultes qui fréquentent les lycées le disent, la marque d’habillement a plus de force que le propos du maître. D’ailleurs, que les garçons soient nippés de la même manière également dans toute l’Europe pose une question : sont-ils dans un processus identique à l’identification féminine qui, elle, est structurée par le symbolique, alors que chez lui ça ne l’est pas ?

Question : Je voudrai revenir sur ces jeunes femmes… il ne faut pas être totalement non plus désespéré, ça ne dure pas ! Après tout, ce n’est pas nouveau, ces phénomènes de consommation de mode, les apparences sont parfois trompeuses aussi, je me méfie des jugements trop hâtifs.

Jean-Paul Hiltenbrand : Vous avez tout à fait raison. Je ne suis pas critique, je trouve cela amusant c’est tout. J’observe cela et je remarque que c’est éminemment mobile, variable, changeant… simplement, entre il y a cinquante ans, une jeune femme avait le soucis de s’habiller pour qu’on l’identifie comme une fille, alors qu’aujourd’hui, les objets proposés, les systèmes, les cultures proposés à l’identification sont beaucoup plus unisexes souvent, ce qui est un signe et d’autre part, ils ne caractérisent par forcément l’expression, ni la position féminine. C’est la seule différence mais vous avez raison de souligner l’éminente variabilité là-dedans.

Question :  Il y a cinquante ans, la petite fille n’avait pas forcément le choix.

Jean-Paul Hiltenbrand : Oui, c’est vrai. Ce n’est pas la petite file qui a le choix, ce sont les parents qui jouent à l’enfant, ce qui est beaucoup plus grave.

F. Davion : Vous avez centré votre propos sur "être reconnue", en quoi est-ce une spécificité féminine ?

Jean-Paul Hiltenbrand : Parce que le garçon, ayant le trait spécifique qui le caractérise et qui est volontiers représenté par un sceptre, par un instrument du pouvoir est évidement beaucoup moins sensible à ce désir de reconnaissance. Il est introduit dans cette forme monoidéïque du phallocentrisme qui n’est pas chez la fillette. On va parler d’insignes : l’insigne, pour le garçon, il y est, il l’a, il en a hérité, ça le rend nécessairement moins instable subjectivement même si cela le rend plus idiot parce qu’il n’a pas à réfléchir sur sa condition d’homme. Ce que j’ai essayé de vous montrer c’est que, tout le temps, depuis le début, avant même d’entrer dans le sexe, avant même cette dialectisation sexuée, elle est déjà obligée de chercher une voie qui serait la sienne parmi toutes celles que je n’ai pas forcement décrites mais suggérées aussi. C’est pour cela que j’ai parlé de "voies" au pluriel. Elle peut s’établir dès la première conjonction de la demande et du désir, mais elle peut  avoir à attendre la deuxième, la troisième phase et finir par aboutir à la nécessité d’une identification sociale. D’un côté, cette incertitude qui lui est perpétuelle d’une certaine manière, a aussi l’avantage qu’à partir du moment où elle a fait l’identification sociale, elle est de plain-pied avec son entourage mondain. Inversement, si elle n’a pas franchi l’une de ces étapes, elle va être déplacée. Comme vous pouvez le déduire ou l’entendre, nul besoin de passer par les chicanes de la logique phallique. Ce que cela montre aussi, par rapport au tableau de la sexuation, c’est qu’elle est obligée essentiellement de passer par les quatre phases qui sont écrites…

G. Letuffe : En ce qui concerne la dialectique entre symbolique et imaginaire, cette mise en place de l’insatisfaction dans l’hystérie, est-ce une manière pour elle d’introduire cette possibilité d’un manque et d’aller vers une position féminine ?

Jean-Paul Hiltenbrand : Assurément puisque la logique hystérique est fondamentalement une logique masculine. Le désir hystérique est un désir masculin. La seule façon qu’elle a de pouvoir échapper à la brutalité de la jouissance phallique, de la logique phallique, c’est de mettre comme elle le fait, l’objet de son désir en réserve c’est-à-dire d’avoir ce rapport qui la caractérise, un rapport tangentiel à l’objet et non pas un rapport d’appropriation de l’objet comme chez l’homme. C’est quelque chose qui est tout à fait pathognomonique de la position masculine, et différent d’avec la position féminine. L’homme est dans un rapport d’appropriation, de tout… c’est tout de même lui qui a construit des empires, réalisé des appropriations territoriales, les femmes lui appartiennent, etc.… c’est vraiment la logique du verbe avoir. Donc il a un objet.

F. Rey : En quoi pour une femme dans sa rencontre avec un homme, cela ne conditionne pas le passage par la chicane phallique ?

Jean-Paul Hiltenbrand : Dans le syndrome de l’égalité, là on est parfaitement bien installé dans la chicane phallique de part et d’autre. À partir du moment où, comme maintenant dans la modernité, nous déclarons que nous naissons tous libres et égaux… bravo. Comme de phallus, il n’y en a qu’un seul, faudra bien décider un jour qui l’a ou qui l’est. Cela a des conséquences considérables puisqu’au niveau féminin, cela introduit un handicap en plus, contrairement à la dialectique qui était toujours dans l’être, avec sa mère. Là, elle est invitée à l’avoir, tout comme le bonhomme. Par conséquent, c’est encore dans notre modernité un handicap de plus pour la position féminine qui va peut-être un jour disparaître, peut-être sommes-nous en train de spéculer sur quelque chose qui sera complètement vaporisé dans cinquante ans et on sera entre "mecs" et voilà, pourquoi pas… ! Je n’ai pas de position idéologique sur la chose mais ça peut arriver.

P. Cacciali :
… (inaudible) cas clinique à propos de la reconnaissance chez une petite fille…

Jean-Paul Hiltenbrand : Lorsque nous observons, comme dans votre exemple malheureusement tout à fait explicite, que c’est un échec abouti, ce dont il faut se souvenir c’est que lorsqu’il y a trouble dans le conjugo, séparation… les manifestations que vous venez d’observer sont déjà significatives de quelque chose qui n’a pas été, qui ne s’est pas fait, d’une fonction symbolique qui ne s’est pas instaurée. On pense souvent divorce, séparation ; imaginez le marin, le père qui ne revient pas de Terre Neuve, ça n’a pas pour autant fabriqué de plus grands névrosés en Bretagne que je sache ! Il y a eu d’autre part des conflits considérables où les hommes ont été décimés, ou bien d’autres choses : la mort précoce de la mère… d’autres choses encore où l’enfant ne souffre pas de cette objection, de cette difficulté. Et l’on sait parfaitement aussi qu’une mère peut être substituée par une autre, les familles d’adoption, les familles d’hébergement chez les jeunes ont parfois des effets tout à fait favorables que les enfants n’ont pas eu dans leur famille d’origine. On voit donc bien que quand je dis que l’identification, ces identifications sociales ne sont pas dépendantes du père et de la mère, on peut se poser la question de l’opportunité d’écrire cela en relation avec la mère puisqu’il se démontre qu’une bonne mère peut remplacer une autre bonne mère au même titre que le biberon peut remplacer le sein.
Il y a là une dynamique qu’il faut essayer de saisir, de comprendre hors de cette institution psychanalytique - qui a des qualités - qui est l’œdipe. L’œdipe nous aveugle sur certains processus qui peuvent se faire en dehors. On voit bien dans certaines circonstances qu’il eut mieux valu que la fille n’ait pas eu la mère qu’elle avait et qu’il eût mieux valu qu’elle soit orpheline. Carrément.

F. Comandini : Tout à l’heure vous disiez que non seulement les filles étaient habillées de la même manière mais les garçons aussi. La position féminine risque peut-être de disparaître mais aussi la position sexuelle en générale qui risque de disparaître.
Jean-Paul Hiltenbrand : Tout à fait ! Il n’est pas sûr — il faudra y réfléchir et l’argumenter sérieusement — que dans l’avenir, et même dans le mouvement de nos démocraties modernes, que la différence sexuée soit pérennisée et reste encore opportune au niveau social. On n’en sait rien. Il n’y a pas que les processus d’identification, il y a d’autres choses où nous voyons bien que les arêtes, les crêtes s’émoussent entre hommes et femmes. C’est aussi ce qui m’a fait dire à l’occasion, que nous présentions le non-rapport sexuel comme un impossible de principe. Ce n’est pas du tout démontré ! Cela l’est dans un modèle social qui est le nôtre, qui est sûrement mondial aussi, mais il y a sans doute des groupes, des entités, des collectivités sociales où ce réel du non-rapport puisse être traversé. Lacan évoque à ce sujet Sodome et Gomorrhe, ce moment où la jouissance du peuple Juif était portée à son comble et il était tout à fait possible que la punition du ciel soit venue frapper la possibilité qu’il y aurait eu d’avoir franchi ce réel du non-rapport. Cette évolution n’est pas seulement localisée à tel ou tel point, on la sent bien à certains vacillements de référents culturels qui étaient auparavant intouchables. Et puis comme je l’évoquais tout à l’heure avec les hardeuses, les mères des filles de porno, il y a là un franchissement. Alors pour elles où est-ce que ça va ? On n’en sait rien, mais c’est tout de même donner de la sexualité une vision — je ne me place absolument pas sur un plan moral — et un aspect relativement récent. On sait depuis l’antiquité que les hommes et les femmes faisaient des cochonneries ensemble, mais on n’en avait pas le film, peut-être que cela aussi change quelque chose, d’avoir entraperçu la scène primitive dans sa crudité!