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Éditorial

Si le discours analytique nous mène à contre-courant de tous les autres, c’est qu’il vient situer le rapport à la jouissance tout à fait différemment. Ainsi donne-t-il une petite chance au désir du sujet, en isolant l’objet qui le cause. Il encourage sans détour à aborder ce qui est ou ce qu’il y a selon les préférences, en invitant à commencer d’abord par dire ce qui ne va pas - en d’autres termes ce qui fait symptôme, tant pour soi que dans notre monde. Ainsi le défaut organisateur, aussi bien de la vie individuelle que du lien social ou collectif, y trouve aisément une place originale, car prise en compte comme nulle part ailleurs. Les Feuillets Psychanalytiques s’offrent d’abord comme lieu d’écriture pour le faire entendre.

Certes, la psychanalyse s’avère particulièrement décriée aujourd’hui, comme d’ailleurs elle ne le fut pas moins hier, puisqu’en voulant faire taire l’inconscient, on voudrait par la même occasion éliminer cette vérité fragile qui ne sert ni Dieu, ni Maître. Rappelons que sa tentative ne vise seulement qu’à formaliser la complexité de faits qui relèvent de la pure structure langagière qui nous caractérise comme parlêtres dans le monde vivant. Ne nous y trompons pas, si d’aventure ce discours se démantèle, c’est en vue d’en piller l’héritage et de s’assurer de sa récupération. Le discours universitaire est un risque qui guette aussi bien les membres de la communauté analytique, névrose obsessionnelle et bureaucratie en prime. Les Feuillets Psychanalytiques, dans un style non convenu qui abandonne la langue de bois et ne fétichise pas le savoir ou les connaissances, autorisent cette liberté de dire.

Bien sûr, il y a à admettre dans le champ de l’analyse une situation d’impasse à dépasser. Car le transfert nécessaire à la cure est aussi sa plus sûre résistance. Le narcissisme s’y adjoint pour travailler à son encontre. Ainsi, le contrôle et le travail des textes en cartels qui complètent le trépied, sur lequel la psychanalyse repose, ne suffisent pas si l’émergence d’un sujet marqué par la conversion préalable au désir n’a pas eu lieu. Dans ce cas, le seul guide qui s’impose est un principe de plaisir capable de produire, en vase clos, sa satisfaction hallucinatoire. Une berceuse qui conduit à réemprunter toujours les mêmes chemins pour entretenir l’inertie d’un sommeil stérile. D’un autre côté, il est aussi vrai que l’analyse peut révéler la place majeure du Réel, mais nous savons qu’il n’est pas davantage concevable de se contenter d’en rester à l’horreur fascinée de son constat. Faudrait-il encore trouver le chemin qui lui fasse occuper une toute autre fonction, celle de tiers référent et pacificateur par exemple, opération radicale par laquelle il serait enfin possible de changer de courbe gravitationnelle – ô certes ! Sans faire tellement de bruit. Opération non sans l’Autre, ni sans une entrée effective dans le champ de la sexualité. Notre parti pris est que les Feuillets Psychanalytiques peuvent de cette mutation discrète, mais néanmoins décisive, faire témoignage.

Car nos Feuillets portent ce désir de quelques-uns de donner à lire ce que le parcours d’une cure peut opérer de plus secret, loin des grands raouts, des manifestations de masse ou des diverses préoccupations politiciennes bien sûr inévitables dans la vie de groupe. Ne serait-ce là qu’un vœu pieux ? Ou pire encore, qu’un rêve ? Certainement pas ! Tel du moins serait notre pari le plus essentiel.

Gérard Amiel

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