Pourquoi la psychanalyse fait-elle peur ?
Nous avons été nombreux à protester et signer cette pétition contre l’amendement 159 qui projetait d’exclure la psychanalyse de « tout financement public concernant les soins, actes et prestations dans les différents établissements. »
Cet amendement allait même plus loin, puisqu’il ne s’agissait pas simplement de la cure psychanalytique, mais de toutes les pratiques reposant sur des « fondements théoriques psychanalytiques. »
Il s’agit d’exclure d’une reconnaissance officielle du soin, et donc de son corollaire le financement par l’assurance maladie, tout ce qui repose sur une clinique du sujet.
La raison en est explicitée : « il faut garantir la cohérence scientifique et l’efficience des dépenses de l’assurance maladie. »
La garantie des soins est donc renvoyée à une comptabilité, celle des dépenses, mais aussi celle du chiffrage statistique d’une efficacité.
En ce qui concerne les chiffres, nous pourrions bien sûr évoquer le coût affolant de la prescription sans retenue de médicaments psychotropes comparé à celui d'une prise en charge psychothérapeutique, appuyée justement sur ces références psychanalytiques sus-citées, dans les différents établissements évoqués dans l’amendement.
Mais la question est bien plus grave puisqu’elle tend à vouloir effacer, au-delà même de la psychanalyse, tout ce qui prend en compte le sujet dans ses difficultés, dans ses inhibitions, dans ses angoisses et ses symptômes... tout ce qui manifeste un profond mal-être, qui n’est que la résultante de l’humaine condition d’être parlant. Cette intolérance croissante dont nous sommes les témoins s’exprime d’ailleurs dans d’autres champs de notre lien social, le monde du travail en est un exemple.
Pour nous il ne s’agit pas d’une maladie à traiter, mais d’une souffrance à entendre.
Pourquoi notre approche est-elle si dérangeante ? Pourquoi est-il nécessaire d’étouffer l’être par des chiffres ?
Nous avons tous une réponse qui peut différer, mais il ne fait pas de doute qu’une thérapeutique qui repose sur le transfert, qui n’hésite pas à parler de désir et non pas de plaisir, de sexualité et non pas de sexe, de subjectivité et non pas d’objectivité, chatouille désagréablement ceux qui ne veulent pas entendre que la condition humaine est faite de malaises et de malentendus et non pas d’harmonie, de bonheur dans une toute jouissance.
Il n’est pas bon par les temps qui courent de souligner qu’une jouissance doit être limitée; cela fait peur, cela inquiète.
Peur à ceux qui ne veulent pas accepter d’entendre qu’une position désirante ce n’est pas confortable.
Ce désir, Lacan l’a formalisé par un objet, un objet certes, mais un objet a : objet cause du désir pour le sujet qui est assujetti, de fait, à une lettre.
Il s’agit d’une lettre et non pas d'un chiffre, ce qui rend cet objet non chiffrable, non pondérable. Ce n’est qu’une lettre, mais c’est bien cette lettre et ce qu’elle porte qui va animer le sujet !
Dérisoire me direz-vous ? Oui, bien sûr, mais peut-être est-ce bien cela qui fait peur !
Cette dynamique inconsciente qui exclut tout contrôle n’est pas facile à concevoir. Nous n’aimons pas ce qui nous échappe, mais ce qui est sûr, notre clinique nous le prouve à chaque instant, c’est qu’à vouloir maîtriser, voire éradiquer nos symptômes, ils ne font que ressurgir encore et encore dans une répétition qui se gausse de toute volonté qui tend à les faire taire.