EPEP Séminaire : Comment parler de la structure chez l'enfant ? Séance du 7 février 2009

Les théories sexuelles infantiles sont une des manières d'aborder la question de la structure chez l'enfant. C'est une manière de rendre compte de ce qui se pense chez l'enfant autour du manque et du désir ; une manière partielle et partiale qui, même si elle sera par la suite confrontée à un savoir sur le sexe de nature savante, perdurera dans ses liens avec le fantasme, et aussi, dans un autre registre, avec celui de la pensée et de l'intelligence.
Les théories sexuelles infantiles font partie des coordonnées du manque, et Freud, dans son article sur les théories sexuelles infantiles, en fait un mode d'abord de la castration. Quand je dis qu'elles sont une manière partielle d'aborder la question du manque et du désir, c'est aussi parce qu'elles sont une tentative de réponse à ce qui se passe entre un homme et une femme, qui ne prend pas en compte la dimension symbolique du phallus. C'est ce que je vais essayer de vous apporter aujourd'hui.
 
L'intérêt des théories sexuelles infantiles est de rendre compte d'un savoir mis en place par le fonctionnement des pulsions en l'articulant à une théorie, c'est-à-dire à une pensée qui se formule en mots par l'enfant. Ce savoir mis en place par le fonctionnement des pulsions est au départ un savoir autour des objets pulsionnels, donc un savoir du corps, pas encore articulé en signifiants par l'enfant lui-même, mais parlé par la mère qui suppose ce savoir à l'endroit des pulsions chez son enfant.
Ce savoir va s'articuler à la question sexuelle : il va être marqué par la fonction phallique, du fait de ce que la mère transmet de sa propre inscription phallique, de l'efficace de la métaphore paternelle pour elle-même. Ce sont les théories sexuelles infantiles qui rendent compte de cette articulation et de la façon dont chaque enfant attrape la question de la castration, de la différence des sexes et des impasses dans lesquelles il peut se trouver arrêté. Les théories sexuelles infantiles sont, à ce titre articulées au fantasme du sujet.
 
Les théories sexuelles infantiles posent cette question : qu'est-ce qui a manqué au rapport de mes parents pour qu'un enfant advienne ? Qu'est-ce qu'il leur faut en plus ? Et par rapport à la question que Freud développe à propos de la jalousie, que nous allons voir tout à l'heure : pourquoi est-ce que je ne leur suffis pas ? A nouveau : quel manque, quel désir ? Pourquoi un autre enfant ?
 
Voilà quelques questions qui peuvent introduire ce que je vais maintenant développer.
 
Freud aborde ces théories dans le chapitre sur la sexualité infantile dans Les trois essais sur la sexualité infantile qui date de 1895, et surtout dans l'article de 1908 Les théories sexuelles infantiles et celui de 1923 L'organisation génitale infantile, rassemblés avec d'autres articles dans La vie sexuelle aux PUF. Ce sont des textes importants puisque c'est là que Freud parle du primat du phallus.
Les théories sexuelles infantiles se fondent sur la question : d'où viennent les enfants ? Et cette question ne vient pas d'un pur désir de savoir, d'un besoin inné de causalité, mais sous l'aiguillon des pulsions égoïstes, quand l'enfant se trouve face à l'arrivée d'un nouvel enfant. Ceci est déjà un point important qui, pour ma part, me semble ne pas être toujours considéré à sa juste valeur. « La Wissendrang, la pulsion de savoir s'éveille sous l'aiguillon des pulsions égoïstes, donc quand l'enfant se trouve, disons dans l'achèvement de sa deuxième année, devant l'arrivée d'un second enfant. »
 
Lacan reprendra cette dimension de la jalousie, notamment dans Les complexes familiaux dans la formation de l'individu où il fera de la jalousie la genèse de la sociabilité, et l'éveil de la connaissance elle-même, en tant qu'humaine, c'est-à-dire en tant que paranoïaque. « La jalousie dans son fonds représente non pas une rivalité, mais une identification mentale ».
On remarque en effet que, dès tout petits, les enfants ont une attirance particulière envers leurs semblables, envers des pairs qui n'ont pas une trop grande différence d'âge. C'est là un des effets de l'imaginaire et de sa fonction de miroir. A cette période, amour et identification sont confondus, et l'agressivité est seconde. Cette identification peut rendre compte à la fois de la qualité particulière de la jalousie fraternelle, mais aussi de l'hypothèse fondamentale des théories sexuelles infantiles qui consiste à penser que tous les êtres vivants ont un pénis, hypothèse étayée sur l'imaginaire.
Par ailleurs le stade du miroir, dans son anticipation jubilatoire, fonde la matrice symbolique du je, qui se « précipite dans une forme primordiale, et qui également fonde la permanence mentale de ce je. Ce sont les conditions pour que s'opère une double rupture vitale : rupture de cette immédiate adaptation au milieu qui définit le monde animal par sa connaturalité, et rupture de cette unité de fonctionnement du vivant qui asservit chez l'animal la perception à la pulsion. » (Les complexes familiaux, p. 43)
La discordance à ce stade chez l'homme des pulsions et des fonctions au regard de l'adaptation va produire, du fait du langage, la capacité à penser, et ce à partir du circuit pulsionnel, notamment du troisième temps de ce circuit. On peut également se référer à l'article de Freud La Verneinung pour rendre compte de cette rupture, cette fois non plus à partir de l'image, mais à partir du jugement.
 
Ce détour rapide nous permet de situer le terme de théorie, c'est-à-dire de pensée.
 
Cette fondation de la pensée est aussi une des premières occasions de conflit psychique dans la mesure où s'opposent chez l'enfant son opinion qui est de nature pulsionnelle, ordonnée aux objets de la pulsion, et la version officielle des grandes personnes, fondée sur des connaissances, celle de la physiologie, elles-mêmes cependant coordonnées au désir et à l'amour. Ce conflit peut devenir un clivage entre savoir inconscient et connaissances, et être une des sources de l'inhibition intellectuelle que l'on rencontrera ensuite dans les névroses.
 
Les théories sexuelles infantiles butent toutes, plus ou moins, sur la non prise en compte, ou sur les difficultés à rendre compte des conséquences de la différence des sexes du fait de l'hypothèse chez le garçon mais aussi chez la fille quoique différemment, de la présence du pénis pour tous. Par exemple, un petit garçon pourra dire devant l'absence de pénis chez sa petite sœur : « tu dois pas être triste, il va grandir. », ou une fillette devant le sexe d'un garçon : « mais j'ai pas ça, moi ! »
Les théories sexuelles infantiles s'originent chez l'enfant de la vie pulsionnelle et il y a autant de théories que d'objet pulsionnels, que d'objets partiels.
Les théories s'appuyant sur l'oralité sont, selon Freud, spécifiquement féminines... Il s'agit du baiser, mais aussi de manger beaucoup, plus pour avoir un garçon que pour avoir une fille, version entendue dans une vieille émission, de Tony Lainé et Daniel Karlin : On n'est pas des lapins.
« Une première organisation sexuelle est celle que nous appelons orale, ou cannibale. L'activité sexuelle n'est pas séparée de l'ingestion des aliments. Il n'y a pas de différence, les deux activités ont le même objet, et le but sexuel est constitué par l'ingestion de l'objet, prototype de ce que sera plus tard l'identification. » nous dit Freud dans Les trois essais.
Les théories s'appuyant sur l'analité nous sont familières. Il s'agit de se montrer son derrière, de faire pipi ensemble, et la naissance se fait par l'anus. Cette seconde phase sadique-anale s'appuie sur une conception sadique des rapports amoureux qui sont ressentis comme actes de violence.
Le regard entre aussi en ligne de compte dans les théories sexuelles infantiles. Une petite fille disait qu'elle savait bien par où passait la graine du papa : par l'œil, pour ensuite descendre jusqu'au ventre de la maman. Où l'on entend combien la pensée est intrinsèquement articulée au langage, puisque l'expression « taper dans l'œil » rend exactement compte de ce circuit sexuel !
Quant à la voix, un exemple cité par Jean Bergès nous le rappelle : pour les filles, ne pas parler aux garçons est une théories sexuelles infantiles, car les mères, et les pères savent bien ce que parler veut dire... Où le sexuel se fait alors non plus à partir d'une bénédiction, mais à partir d'une transgression.
 
Tous ces exemples, articulés aux pulsions, nous enseignent sur le rôle de celles-ci dans l'élaboration du sexuel, et aussi sur les impasses éventuelles. En effet, un psychotique aura bien une théorie infantile, mais elle ne sera pas liée au sexuel : ce sera une théorie non sexuelle infantile.
 
Je voudrais revenir en deux points sur ce que je rappelais au début, pour développer ensuite les conséquences du fait que les théories sexuelles infantiles sont ordonnées aux objets pulsionnels.
 
Freud nous dit donc que c'est la jalousie qui est à l'origine de cette pulsion de savoir.
Je voudrais tout d'abord vous faire part de ce que disent Balbo et Bergès à propos de cette jalousie dans le séminaire qu'ils ont tenu sur ce thème en 1997-98. En effet, cette jalousie permet de faire la jonction entre les théories sexuelles infantiles et l'agressivité : c'est le fait que l'image de l'autre vient faire effraction dans l'image spéculaire du sujet, c'est le frère dont on ne veut pas, le vrai faux frère ! Et surtout c'est la situation que l'on retrouve chez le père à la naissance du fils, notamment le premier fils, qui réveille la rivalité. (Problématique classique de la névrose obsessionnelle, ainsi qu'il a été fait remarquer au cours de la discussion). En clinique, c'est le frère qu'a eu le père, ou qu'il a à cette occasion.
C'est une situation qui prend une force particulière actuellement où les pères se situent volontiers comme des mères, et où ils escamotent et la position paternelle et cette rivalité que l'on pourrait dire de structure. Ces pères-là sont pleins de bonnes intentions maternelles, et de ce fait tentent de se soustraire à cette dimension de jalousie, et de soustraire leur enfant à celle-ci, pourtant support de toute socialisation.
Les théories sexuelles infantiles sont donc porteuses de cette rivalité.
Quand l'enfant fait une théorie sexuelle infantile, il se reproche en quelque sorte de ne pas avoir su ou pu anticiper la venue d'un autre enfant. Les théories sexuelles infantiles portent sur la dimension temporelle, sur l'anticipation : le petit nouveau destitue par sa propre naissance celui qui le précède, et, par conséquent, il sera lui-même destitué par le suivant. Comme le dit Jean Bergès : « je n'aurai pas été celui qui sera né avant ses frères aînés », ou encore : je n'aurai pas été le seul. Les théories sexuelles infantiles ont donc également, du fait de l'anticipation, une dimension temporelle qui cependant n'est pas prise comme un impossible, c'est-à-dire dans la structure, mais qui est prise comme un échec, une faute, une erreur.
D'une manière générale, cette jalousie et les théories sexuelles infantiles nous permettent de comprendre pourquoi on se déchire si volontiers pour une théorie, pourquoi il est parfois si difficile de laisser tomber nos positions théoriques, du fait de n'avoir pas su anticiper le coup du rival.
 
Le deuxième point présenté par J. Bergès que je veux développer à partir de cette pulsion de savoir soutenue par la jalousie, c'est de savoir ce qui pousse l'enfant dans cette théorisation : ce qui pousse l'enfant, c'est le corps érotisé. Cette érotisation du corps est ce qui le distingue de l'organisme : c'est le corps de la pulsion articulée au signifiant.
Et, à ce sujet, au cours du séminaire d'hiver, nous avons travaillé avec Charles Melman le compte-rendu du séminaire ...ou pire, compte rendu écrit par Lacan lui-même, où il dit : « Le savoir comme tel affecte. Mais quoi ? C'est la question où l'on se trompe : il n'affecte pas le sujet...Pas l'âme non plus... Le savoir affecte le corps. Le corps de l'être qui ne se fait être que de paroles... du fait de morceler sa jouissance, de le découper pour en produire des chutes dont je fais objet a. »
Le voilà, le corps érotisé.
Et l'enfant évolue avec la pulsion dans un savoir qui est articulé à la question de la mère, elle-même travaillée par sa propre vérité sur son désir, et son inscription phallique : cet enfant qu'elle a, comment a-t elle fait pour l'avoir ? Ce n'est pas dit qu'elle le sache. Il y a là un discord, un écart entre les pulsions de l'enfant et le discours de l'Autre maternel pris dans le sexuel. D'où la question qu'ils posent et qui fait faire un tour à cette question des théories sexuelles infantiles : l'enfant invente-t-il sa propre théorie imposée par le corps pulsionnel, ce qui est la position freudienne, ou bien cette théorie participe-t elle de l'hypothèse de la mère, qu'il est compétent pour en faire une ? Pour Freud, c'est parce qu'il y a la pulsion dans le corps, qu'il va y avoir des hypothèses. Ce que Lacan amène, c'est que le savoir qui affecte le corps ne le fait que parce que l'être est être de paroles, et qu'il produit ses objets a.
Cependant le corps érotisé n'implique pas nécessairement de devoir faire une théorie. Il y a d'autres destins, d'autres manifestations à l'existence de ce corps érotisé. Ce sont l'angoisse de castration, ou le symptôme, mais aussi les destins pulsionnels que sont la transformation en son contraire, ou le retournement sur le corps propre.
 
Alors pourquoi une théorie ? C'est le signifiant dans le discours qui rend la théorie sexuelle infantile obligatoire, c'est parce qu'on parle et que ça rate, qu'il faut faire une théorie, c'est la réitération du travail du signifiant qui fait que ça ne va pas droit au but, qu'à chaque fois que la question est posée il y a une réponse différente. Cela a un lien avec le refoulement.
La théorie est donc élaborée à partir de l'érotisation du corps du fait des pulsions, et avec les réponses reçues aux questions, formulées ou non, qui accompagnent cette érotisation. En quelque sorte la mère délègue à son enfant la possibilité de lui en dire quelque chose du comment elle a fait pour avoir cet enfant. La théorie de l'enfant est une réponse, dans l'après-coup, à la question maternelle.
Un exemple clinique vient illustrer cela. Voici les paroles d'une femme qui est enceinte : « Il y a un implicite : mon bébé, c'est un petit garçon. Les bébés sont implicitement des garçons. C'est cela le fond de la question... » Donc, les bébés sont des garçons. Nous voilà revenus à la position freudienne familière : tous les enfants sont à l'origine des garçons. La théorie sexuelle infantile de cette femme prend Freud au mot dans sa triangulation mère-enfant-phallus, le phallus étant là dans sa dimension imaginaire, -φ. Avec cet exemple, on voit comment une théorie sexuelle infantile peut sans cesse renaître de ses cendres et durer sur ses propositions de départ, et où l'on voit aussi qu'elle n'est pas réservée exclusivement aux enfants.
 
Au-delà de cet exemple, on rencontre en effet des enfants qui tiennent dur comme fer à leur théorie, qui sera éventuellement remaniée à l'adolescence. Il s'agit là d'un évitement du sexuel. En effet, la théorie, en se construisant avec les objets partiels que sont les objets de la pulsion méconnaît la différence des sexes en tant qu'elle est articulée à la fonction symbolique du phallus Φ, c'est-à-dire la différence des sexes articulée à la castration et au Nom-du-Père. On pourrait dire que les théories sexuelles infantiles sont des théories qui font du rapport : on sait comment ça se passe, et prises au mot, elles peuvent être un déni du non-rapport.
 
C'est d'avoir à se détacher de la mère et de la jouissance partagée, et d'entrer en son nom propre dans le langage qui amène l'enfant à rencontrer le sexuel autrement. Il y a cette dimension traumatique à la différence des sexes du fait de découvrir que le pénis peut manquer et, dit Freud : « on ne devrait parler du complexe de castration qu'à partir du moment où cette représentation d'une perte s'est reliée à l'organe masculin. On ne peut apprécier à sa juste valeur la signification du complexe de castration qu'à la condition de faire entrer en ligne de compte sa survenue à la phase du primat du phallus. » De ce fait, toute perte qui a lieu avant la survenue du complexe de castration ne prend sens sexuel de manque et de castration qu'à partir de ce moment-là. Autrement dit le sens sexuel est rétroactif à une interprétation qui organise la différence à partir d'un trait, le trait phallique, selon qu'il est présent ou absent. Ainsi les théories sexuelles infantiles  amènent la question de la différence des sexes et la question du rôle du père dans la procréation, mais elles ne les posent pas dans les trois dimensions symbolique, réelle et imaginaire.
Les conséquences de ce que Freud dit comme ça, un peu en passant, mais que Lacan ne laisse justement pas passer, sont que la castration conçue avec cette dimension que l'on peut dire structurale du phallus réorganise la relation mère-enfant-phallus imaginaire -φ en introduisant le père comme porteur du phallus symbolique Φ. La relation triangulaire va alors se réécrire dans un deuxième triangle : mère-enfant-père. La perte devient symbolique, du fait d'être ordonnée au phallus Φ, présent ou absent.
 
Comment se fait le passage des théories sexuelles infantiles au phallus comme opérateur de ce qui se passe entre un homme et une femme, c'est-à-dire que ça ne fait pas rapport ?
« Le phallus, c'est l'objection de conscience faite par l'un des deux êtres sexués au service à rendre à l'autre. » dit Lacan dans Encore. On ne peut pas juste se rendre service, chacun se situe et se détermine au regard du phallus.
 
De ce fait, et c'est ainsi que Robert Levy le formule dans son livre qu'il va venir présenter à l'EPEP en mars, L'infantile en psychanalyse, nous nous trouvons devant une sorte d'impasse avec la sexualité infantile : pour qu'il y ait substitution, au sens de la métaphore, entre les objets partiels et le phallus, il faut que ce dernier soit entré en fonction chez l'enfant lui-même comme signifiant du manque, comme représentant du manque. Il faut qu'il soit entré en fonction pour marquer l'objet pulsionnel de la dimension symbolique, de la dimension de semblant opérante avec le troisième temps du circuit pulsionnel : l'objet pulsionnel, objet partiel, joue dans le sexuel un rôle essentiel puisqu'il est le support du fantasme, $ ◊ a, mais il ne joue ce rôle que du fait du symbolique, fondé par le phallus. Le phallus n'est pas une conséquence ni le résultat d'une substitution terme à terme avec les objets pulsionnels. Il tient sa dimension symbolique et son efficace d'être lui-même une opération métaphorique, un saut, et d'être représenté par un nom. C'est ainsi que Lacan articule phallus et Nom-du-Père, et, qui plus est, Nom-du-Père et réel dans Un discours qui ne serait pas du semblant : « Le nom, c'est ce qui appelle, mais à quoi ? A parler, et c'est bien le privilège du phallus, c'est qu'on peut l'appeler éperdument, il ne dira toujours rien. Mais, si j'ai écrit quelque part que le Nom-du-Père c'est le phallus, c'est précisément qu'à cette date, je ne pouvais l'articuler mieux. Ce qui est clair c'est que c'est le phallus, mais c'est tout de même le Nom-du-Père. Ce qui est nommé père, le Nom-du-Père, si c'est un nom, lui qui a une efficace, c'est précisément que quelqu'un se lève pour répondre. »
Le phallus n'apparaît pas comme tel au champ des pulsions, mais il vient lier les pulsions partielles, les ordonner au symbolique, d'abord dans la parole de l'Autre maternel, mais aussi par les signifiants du sujet lui-même. C'est le travail de la métaphore qui permet que l'on passe des objets pulsionnels à un objet total, porteur de phallus, et dans sa dimension de semblant d'objet.
 
Cette impasse de la sexualité infantile peut se considérer, outre ce que j'ai dit tout à l'heure avec les théories sexuelles infantiles, du côté du discours et de ses modalités. C'est un point du livre de R. Levy que je souhaite évoquer car elle me paraît intéressante pour repérer la fonction de la métonymie dans les théories sexuelles infantiles, et ce sera mon dernier point.
 
Le discours de l'enfant, dans cette période infantile, fonctionne dans la métonymie. Le style réaliste des enfants témoigne d'un fonctionnement du langage de cet ordre, et c'est la métonymie qui permet que, dans la langue aient lieu par la suite, les métaphores.
Voici ce que dit Lacan dans le séminaire Les psychoses, notamment à partir du rêve d'Anna Freud endormie et qui parle dans son sommeil. Elle a été malade et mise à la diète : « Anna Freud, grosses fraises, framboises, flan, bouillie ». C'est la forme la plus schématique, la plus fondamentale de la métonymie. Ce n'est pas seulement une énumération, ce qui fait métonymie, c'est que les noms d'aliments soient juxtaposés au nom de la petite Anna. C'est ce qui leur donne valeur d'équivalence au sens de la partie pour le tout, et qui indique aussi l'objet a, ici objet oral, comme objet métonymique du désir.
Lacan, dans le même passage, nous dit que le caractère très concret du langage de l'enfant est quelque chose qui se rapporte à la métonymie.
Outre l'exemple d'Anna Freud, il rapporte le mot d'un petit garçon de deux ans et demi disant bonsoir à sa mère : « Ma grosse fille pleine de fesses et de muscles. » Cela n'a rien à voir avec les métaphores telles que Booz et la gerbe, ou le caillou riant dans le soleil... Exemples canoniques s'il en est, pour nous ! Il s'agit pour cet enfant d'un ensemble de signifiants pas seulement réalistes, mais qui peuvent devenir un équivalent maternel (la partie pour le tout) en fonction de ses capacités métonymiques. Et, sur sa lancée, il nous fait remarquer qu'il est idiot de penser que l'enfant comprend la poésie surréaliste et abstraite. Il la déteste, parce qu'il n'en est pas encore à la métaphore, mais à la métonymie.
 
La métonymie ouvre la voie à la métaphore chez le petit enfant qui commence à parler, « parce qu'il est nécessaire que la coordination signifiante soit possible pour que des transferts de signifiés, c'est-à-dire les métaphores puissent se produire ».
Une discussion avec Paule Cacciali me fait vous préciser que la métaphore paternelle n'est pas à mettre au même plan que métaphores et métonymies dans la parole même de l'enfant : c'est la métaphore paternelle qui permet le jeu de la langue pour tout sujet, un jeu de la langue pris dans le refoulement du phallus. C'est à cette condition que métonymies et métaphores pourront jouer et la dimension du semblant se mettre en place petit à petit chez l'enfant.
 
Pour finir, je voudrais rassembler ce qui m'est apparu en travaillant cette question.
Les théories sexuelles infantiles sont conçues chez l'enfant à partir des objets pulsionnels qui ne sont pas encore rangés sous la bannière phallique, c'est-à-dire pris dans la fonction symbolique du phallus. Ces théories tentent de rendre compte de la différence sexuelle autour du primat du phallus, mais de telle sorte qu'il y a du rapport entre homme et femme, puisqu'ils sont faits l'un pour l'autre pour faire des enfants. La dimension phallique telle que Lacan l'écrit comme résultat, invention de la métaphore paternelle : NdP (A/Φ) n'a pas encore toute son efficace chez l'enfant, même si elle est à l'œuvre dans la parole maternelle. C'est ce qui permet de dire que les théories sexuelles infantiles  sont une impasse quant à une position sexuée qui prenne en compte le manque en tant que symbolique.
Cela s'articule aussi avec la question de la métonymie qui, de prendre la partie pour le tout n'est pas séparée de son signifiant de référence, contrairement à la métaphore, où un signifiant nouveau se fait entendre, et où les dimensions du semblant, et de l'abstraction peuvent pleinement être à l'œuvre.