Nous avons eu cette année la chance de pouvoir lire ce séminaire extraordinaire, et dans le même temps de suivre un événement politique attendu depuis longtemps dans notre pays, les élections présidentielles. Cela a été pour nous l'occasion  de pouvoir suivre au jour le jour la vie politique qui évolue de plus en plus vite selon des voies difficiles à interpréter, mais témoigne d'une mutation du discours du maître dont nous pouvons nous demander quelle incidence elle peut avoir sur notre jouissance et par voie de conséquence sur notre inconscient. Malgré ces difficultés ce séminaire en permet la lecture, selon une articulation qui reste d'une grande actualité presque quarante ans après. Nous pouvons même être étonnés du repérage, par Lacan, des signifiants qui était déjà aux commandes dans le domaine politique à cette époque là. Comme il le dit dans D'une réforme dans le trou, « Pour s'y retrouver il faut savoir que le présent est contingent, comme le passé est futile. C'est du futur qu'il faut tenir que le présent tient ce qu'il a de nécessaire. Le vainqueur inconnu de demain, c'est dès aujourd'hui qu'il commande. »

Voilà qui est congruent avec la tâche dévolue au discours psychanalytique, à savoir de produire, par le truchement de l'interprétation, l'extraction de ce produit particulier qu'est le contenu latent, le signifiant maître qui était caché dans le contenu manifeste du mythe qui anime le discours du maître.

Avec ces signifiants nous pouvons suivre une mutation du discours du maître et donc du politique qui a été particulièrement sensible au niveau de la campagne présidentielle. Cette campagne, très suivie, nous a permis d'une certaine façon de faire le point, de préciser où nous en sommes, du fait qu'elle a apporté avec elle quelques éléments de nouveauté, fort  attendus après une longue période politique qui a été vécue comme une période d'indécision et de stase, voire d'impuissance.

Cette campagne est arrivée sur un fond d'inquiétudes nouvelles nées de la persistance voire de l'aggravation de difficultés qui touchent le travail, l'économie et le lien social. Je prendrai pour indice de ces inquiétudes un constat qui a été fait à maintes reprises, et qui peut paraître marginal, à savoir qu'il s'est dit pour la première fois depuis bien longtemps que la nouvelle génération allait connaître des conditions de vie plus difficiles que celles de ses parents. C'est la première fois depuis des lustres, puisque nombre d'entre nous ont pu entendre leurs parents dire qu'ils souhaitaient que leurs enfants soient plus heureux qu'eux, promesse qui s'est transmise de génération en génération, autant dans les familles que les écoles, depuis le siècle des lumières.

Dire que la génération actuelle connaît une dégradation de ses conditions de vie, c'est à la fois mettre en doute la promesse de progrès qui nous a été transmise très largement, et repérer une perte et une entropie là même où était attendue une récupération de la jouissance perdue de génération en génération. Puisque l'espoir du prolétaire, lui qui chez les romains était qualifié de juste bon à faire des enfants — proles — , son espoir donc a surtout été que ses enfants réussissent dans la vie, qu'ils soient reconnus à leur juste valeur et qu'ils leur reviennent une part de ce plus de jouir qu'ils ont dû céder. C'est autour de cette inquiétude concernant la nouvelle génération, qui par ailleurs renvoie les signes d'un malaise bien installé, tant dans son rapport au travail que dans les modalités de jouissance de ses loisirs, qu'un certain nombre de thèmes de la campagne présidentielle se sont organisés . Et là nous pouvons dire que si l'inquiétude est justifiée et le diagnostic du malaise bien posé, les remèdes proposés nous paraissent non seulement inappropriés, mais également participer du problème. En effet nous assistons en permanence à une alternance de discours compassionnels adressés à des supposées victimes des abus ou des carences de telle ou telle partie du corps social, à qui l'on promet une plus juste répartition des moyens mis à leur disposition pour leur permettre l'accès à la réussite sociale, avec des discours d'une rare sévérité à l'égard des contrevenants aux règles supposées assurer le bien public. Ces discours participent les uns et les autres à l'édification d'un surmoi colossal qui prescrit tout autant l'interdiction de la jouissance que la prescription de cette même jouissance, optimalisée, lequel surmoi est placé sous l'égide d'un Autre qui lui-même jouit à pleins tuyaux : le peuple. Ajoutons que ce surmoi se donne les moyens scientifiques d'arriver à ses fins : l'évaluation, qui fut un des signifiants-maître de cette campagne présidentielle. Tous les jours nous avons entendu, et nous entendons encore, les mots : évaluation, chiffrage, politique basée sur les preuves, et leur cortège de ségrégation : ceux, ministres et président compris, qui n'ont pas une bonne évaluation, à la porte !

Exacerbation donc du recours à l'évaluation, et par conséquent à la tentative de récupérer la plus-value perdue, par un appel à la science qui offre désormais des moyens techniques  à la spoliation du savoir de l'esclave par le maître, esclave dont le corps doit se soumettre à la taylorisation de tâches de plus en plus sophistiquées. C'est ce qui s'est passé ces dernières décennies dans le champ de l'industrie et des services, et arrive même aujourd'hui dans le champ de l'éducation et de la médecine, psychiatrie comprise, par la médecine basée sur les preuves. Ce que cette protocolisation  des procédures de soins vient nous faire oublier, c'est qu'au-delà de la lésion, les patients pâtissent de la jouissance que le langage exacerbe dans leur corps. En somme plus nous élevons haut la digue de l'évaluation contre le Pacifique de la jouissance corporelle, et plus cette digue fait eau de toute part, laissant ruisseler cette jouissance par tous les interstices du corps social.

Ce barrage, malgré ses fuites, installe une frontière dont le séminaire de Lacan vient esquisser les contours. C'est sur le fond du savoir qui est la jouissance de l'Autre que le S1, le signifiant-maître intervient sur l'un des signifiants de ce savoir, ce qui a pour effet le surgissement de $, le sujet. Cette opération occasionne une perte de jouissance. Il y a ainsi une jouissance initiale, qui est un savoir qui ne se sait pas, dont une partie est prise sous l'effet du signifiant-maître, ce qui permet un comptage de cette jouissance, comptage dont les comptes ne tombent jamais juste du fait de la déperdition de jouissance. Une partie de la jouissance reste hors discours, et donc hors comptage, hors savoir, ce qui la rend hypothétique, comme la jouissance des lys des champs qui ne tissent ni ne filent, mais doit être gardée comme hypothèse si l'on veut considérer ce sur quoi les discours opèrent.

Cette distinction entre une jouissance prise dans la ronde des discours et une jouissance hors discours, nous la trouvons par exemple, pour suivre les effets du nouveau discours du maître sur la jeune génération, articulée dans un article d'un grand intérêt, paru dans La clinique lacanienne sur « Les nouveaux rapports à l'enfant », intitulé « L'enfant dieu chez Savitkaya », de Laurent et Christian Demoulin. Nous trouvons dans cet article la distinction entre l'enfant roi, « his majesty the baby » tel que Freud en parle dans Pour introduire le narcissisme, et l'enfant dieu tel qu'ils le repèrent dans les récits autobiographiques de l'écrivain contemporain Savitzkaya. L'enfant roi est un enfant célébré, magnifié, pour autant qu'il est pris dans un discours qui tient au fait qu'un trait symbolique lui a été attribué, qui le fait entrer dans la reconnaissance phallique. Par l'attribution de ce trait unaire, inconscient, l'enfant est pris dans un réseau d'obligations et dans une temporalité qui est aussi bien la temporalité du travail que celle des générations qui se succèdent. L'enfant roi a ainsi trouvé sa couronne du côté du symbolique.

Celui qu'ils nomment l'enfant dieu, sans majuscule, trouve son autorité du côté du réel, du fait qu'il est un enfant qui n'est pris dans aucune contrainte symbolique ; ses relations à l'autre sont seulement tributaires des aléas de sa demande, et jamais soumises à la moindre condition symbolique. L'enfant dieu est ainsi hors relation de travail, et hors filiation. Il est, tout simplement. Ce qui fait dire aux auteurs qu'il est, comme les dieux, réel, totalement énigmatique. On peut décrire son action, sans la comprendre. Il est au-delà de l'imaginaire et du symbolique, dans le registre de la pure présence. « Savitzkaya nous décrit un rapport à l'enfant qui serait hors discours, tout au moins hors des discours institués, ou plutôt une tentative de réinventer un discours d'avant le discours du maître, un discours mythique où il n'y a ni père ni fils mais des géants et des nains, dans un temps suspendu. »

C'est sur cette distinction entre une jouissance prise dans la ronde des discours et une jouissance hypothétique, innommable, mais déductible, que je vais me rapprocher du texte de ce séminaire. Lacan y articule les rapports du signifiant à la jouissance dans les discours qui distribuent les places autant dans le politique que dans la sexuation.

C'est ce que nous rencontrons dès la première leçon, qui s'ouvre sur la genèse du sujet, à savoir ce qui se passe quand un signifiant intervient dans le champ des autres signifiants. Cette phrase, si souvent répétée, un signifiant, c'est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant, prend ici un tour différent dès lors que cet autre signifiant est assimilé à S2, le savoir, et que ce S2 a un rapport primitif à la jouissance. « Etc'est pour autant que S1 ayant surgi, premier temps, se répète auprès de S2, d'où surgit dans l'entrée en rapport le sujet, que quelque chose représente une certaine perte. » C'est sur cette perte que se dialectise la frustration et vient se placer cet objet autour duquel se met en fonction le désir, le plus de jouir. A quoi Lacan ajoute que cette formule du signifiant qui représente un sujet pour un autre signifiant, ce que l'on peut écrire :

S1 S2 $ a

c'est l'écriture du discours du maître.

D'emblée, dès la première leçon, Lacan pose ce coup de force du discours du maître qui, par le surgissement d'un signifiant-maître, impose une perte au savoir qui a ce rapport primitif à la jouissance. Ce qui a des effets sur le savoir, puisque celui de l'esclave lui est amputé dans l'opération, sans que pour autant le maître désire en savoir plus. Ce temps premier, qui va se poursuivre par des spoliations, des soustractions à l'esclave de son savoir au bénéfice du maître qui le capitalise, Lacan en parle en termes historiques, comme d'une longue évolution historique qui nous fait passer d'un discours du maître ancien à un discours du maître moderne, avant d'en faire une écriture logique et d'avancer que le maître est une fiction et finalement un opérateur logique.

Il y a une opération, qui est cette entrée dans la ronde des discours, dont Lacan précise dans les leçons suivantes la portée. Dans la leçon du 14 janvier, il est question d'un effet de discours qui est effet de rejet, ce que Freud a découvert en s'intéressant à la répétition. Ce qui nécessite la répétition, c'est la jouissance. Dans la répétition, il y a déperdition de jouissance. C'est de là que prend origine la fonction de l'objet perdu. L'identification de la jouissance qui en résulte tient à la fonction du trait unaire. « C'est du trait unaire que prend son origine tout ce qui nous intéresse, nous analystes, comme savoir. » Le trait unaire est moyen de la jouissance qui dépasse les limites du plaisir. Mais à la place de cette perte introduite par la répétition, nous voyons surgir la fonction de l'objet perdu, l'objet a. Ce qui fait que là où le trait unaire impose un travail au savoir, le savoir va produire une entropie. Il y a de l'entropie, comme nous le constatons à notre époque qui souffre de réchauffement climatique. Tous les jours nous entendons parler de cette surchauffe de la planète qui est la surchauffe de la jouissance produite par le prolétariat qui prolifère. Que fait le maître ? Il peut certes interdire la jouissance et il ne s'en prive pas, mais il appelle  à un surcroît de travail pour rattraper cette perte de jouissance, ce qui occasionne un échauffement supplémentaire. Il voudrait faire du monde un jardin à la française, et il assiste impuissant à la production de mégapoles ingérables en déficit permanent d'urbanisme, de voirie, d'assainissement.

Cela n'empêche pas l'esclave de continuer à mettre son savoir, et sa jouissance, dans les traces du trait unaire et premier. Bien au contraire, et par la même occasion cela nous livre la vérité du maître qui est sa faiblesse, qui reste à cacher. C'est pour cette faiblesse qu'on va l'aimer, le maître. On va lui donner ce qu'on n'a pas pour venir au secours de sa faiblesse originelle. Ce n'est  pas la dernière campagne présidentielle, où les appels à l'amour ont été nombreux et répétés, qui peut démentir ce point.

Dans la leçon du 21 janvier, Lacan fait une remarque annexe qui prend son importance dans les leçons suivantes Cette remarque concerne les femmes : elles sont moins enfermées que leurs partenaires  dans le cycle des discours, même si elles peuvent avoir une culture des discours, comme les hystériques. Alors que l'homme, le mâle, le viril, est une création de discours.

La leçon du 11 février s'ouvre sur la jouissance féminine, question à risque que Freud a abandonné. « La jouissance, ça commence à la chatouille et ça finit à la flambée d'essence. » De la jouissance féminine, Lacan distingue très précisément la jouissance phallique. Il n'y a que le phallus à être heureux, pas le porteur. C'est autour de lui que tout le jeu tourne, lui dont on peut isoler la jouissance qui est soumise à la finitude. Son organe est soumis à la tumescence et la détumescence.

De cette jouissance qui connaît la finitude et même l'interdit, nous avons dans l'expérience analytique à distinguer le plus de jouir dont la fonction est de suppléer à l'interdit de la jouissance phallique, et donc au manque, au désir. C'est la finitude de la jouissance phallique qui introduit au manque.

Mais comment peut-on désirer quoi que ce soit ? « Quelqu'un a dit : rien ne manque ! Regardez les lys des champs, ils ne tissent ni ne filent. C'est eux qui sont à leur place dans le royaume des cieux. » Ce « rien ne manque » vient situer les lys des champs dans le réel, qui est le seul à ne manquer de rien, comme l'enfant dieu de Savitkaya. D'ailleurs, Lacan ajoute que « le lys des champs nous pouvons l'imaginer comme un corps tout entier livré à la jouissance…C'est peut-être une douleur infinie d'être une plante. »

C'est me semble-t-il ce que Lacan peut nous dire de plus précis dans ce séminaire sur ce que pourrait être une jouissance hors discours. A quoi il ajoute qu'il y a un moins de jouissance, c'est-à-dire un principe de plaisir, qui existe déjà chez l'animal. C'est précisément ce qui renforce l'énigme de l'inconscient dans lequel se rencontre la répétition, l'au-delà du principe de plaisir. La répétition, c'est la dénotation précise d'un trait, trait unaire, bâton, en tant qu'il commémore une irruption de jouissance.

Ces éléments introduisent à un passage, p.94, qui situe la différence de rapport au discours et à la jouissance pour les hommes et pour les femmes. Il dit qu'il y a « une dominance de la femme en tant que mère, mère qui dit, mère à qui l'on demande, mère qui ordonne…La mère donne à la jouissance d'oser le masque de la répétition…elle apprend à son petit à parader. Elle porte vers le plus de jouir parce qu'elle plonge ses racines, elle, la femme, comme la fleur, dans la jouissance elle-même. Les moyens de la jouissance sont ouverts, au principe de ceci qu'il ait renoncé à la jouissance close et étrangère à la mère.» Peut-on dire qu'il n'y a expérience de la répétition commémorée par le trait unaire que parce que la mère, qui n'a pas été civilisée totalement par le discours, produit ce plus de jouir, cet excès de jouissance qui va donner à sa progéniture les moyens de se soutenir dans la vie ? C'est ce qui semble, et Lacan ajoute même que c'est de là que se fonde ce qu'il appelle « la sexuation de la différence organique », qui implique « l'exclusion de l'organe spécifiquement mâle. Le mâle dès lors est, et n'est pas ce qu'il est au regard de la jouissance. Et de là aussi, la femme se produit comme objet, justement de n'être pas ce qu'il est d'une part — différence sexuelle — et d'autre part d'être ce à quoi il renonce comme jouissance. » Phrase bien difficile à lire, qui nous livre qu'une femme n'est objet pour un homme que d'échapper à la condition de son partenaire dans les discours, et à garder un contact avec la jouissance à laquelle il a dû renoncer.

Dans la suite immédiate de ce passage, Lacan avance que ces remarques sont essentielles pour poser la question de la place de la psychanalyse dans la politique. « L'intrusion dans la politique ne peut se faire qu'à reconnaître qu'il n'y a discours, et pas seulement analytique, de discours que de la jouissance. »

Voilà qui est à garder en mémoire pour aborder la leçon du 18 février où Lacan dit que l'Urverdrängung est un fait politiquement définissable. Dans cette leçon, il est question de la prééminence du discours du maître, qui enserre tout, même dans la révolution. Le discours n'a qu'un contrepoint, le discours de l'analyste, qui seul s'occupe des effets du discours du maître que sont la séparation S1-S2, la faille du sujet, la chute de l'objet a, et la castration. Le discours du maître est politique de ce qu'il vient séparer le signifiant-maître des moyens de la jouissance que constitue le savoir. Et Lacan insiste pour revenir sur ce temps premier logique du surgissement de S1 sur le savoir. « Assurément, au départ, il n'y en a pas (de signifiant-maître), tous les signifiants s'équivalent en quelque sorte, pour ne jouer que sur la différence de chacun à tous les autres, de n'être pas les autres signifiants. C'est aussi par là que chacun est capable de venir en position de signifiant-maître », et de représenter un sujet pour un autre signifiant.

Ce passage est d'une grande importance pour rendre compte de ce qui se passe dans la clinique, et aussi dans le champ politique.

Dans la clinique, nous n'avons  pas fini de nous interroger sur ce temps premier, temps logique, à partir duquel S1 et S2 se distinguent. Et pour avancer sur cette question, nous avons intérêt à aller voir du côté de la clinique où S1 et S2  ne se sont pas séparés, et sont restés en continuité. Les agencements cliniques, nombreux, nous les nommons symphyse, collapsus S1-S2, ou encore holophrase, terme que nous employons surtout pour la psychosomatique, mais qui pourrait s'appliquer finalement à d'autres structures cliniques, comme le fait remarquer M. Czermak dans son texte A propos de la psychosomatique. Il propose quatre conjonctures au cours desquelles celui qui en est l'hôte ne peut répondre avec un autre signifiant pour un signifiant qui lui fait défaut, ce qui fait qu'au lieu de répondre dans le symbolique, ça répond dans le réel. Ces quatre situations, ces quatre conjonctures sont l'angoisse, l'hallucination, le passage à l'acte et la psychosomatique, à quoi M. Czermak ajoute le refoulement originaire. Le refoulement originaire n'est pas un refoulé, mais une forclusion. Le représentant psychique qui a disparu dans le refoulement originaire n'aura pas de représentant dans le symbolique ultérieurement. C'est là un impossible, au même titre que l'impossible qui existe dans chaque discours.

Cet impossible qui est attaché à la symphyse S1-S2 a une conséquence immédiate concernant la psychanalyse, qui est que s'il n'y a pas de représentant de la représentation, il n'y a pas d'interprétation possible, de dégagement possible du contenu latent, du S1 en place de produit. Ceci revient à dire que s'il n'y a pas d'inconscient, qui est un savoir disjoint qui a un pied dans le mythe et un pied dans la science, il n'y a pas d'analyse possible. Pour qu'il y ait de l'analyse et de l'interprétation, il faut qu'il y ait une prise dans la ronde des discours, ce qui implique qu'il y ait de l'inconscient. Et pour cela, il y faut un fait politique qui est l'institution du discours du maître. 

Et justement, au niveau politique, cela change à grande vitesse ; si bien que nous pouvons nous demander ce que devient le discours du maître aujourd'hui. Mon intuition, qui reste à démontrer, est que les conditions d'accès au discours, et donc au désir mâle, viril, et à l'inconscient, sont rendus plus difficiles du fait que nous avons affaire de plus en plus à un maître qui est le nouveau riche, c'est-à-dire l'esclave qui passe son temps à se racheter. Celui-ci n'a pas renoncé à la jouissance corporelle qui fit sa condition d'esclave, et ce maître là ne peut pas assurer à une femme la place originale qui est la sienne dans la ronde des discours. D'où les beaux jours qui s'annoncent pour le discours hystérique qui est loin d'avoir perdu de sa virulence, y compris et même surtout dans le domaine politique. L'hystérie collective reprend de la vigueur, comme dans toutes les grandes périodes d'anomie de notre histoire. Ne serait-ce pas du côté du discours hystérique, qui prône la production forcenée de savoir, qu'il faudrait chercher ce goût prononcé pour l'évaluation, la traçabilité et la transparence ? Il faut que ça se sache, que ça produise du savoir qui soit reconnu par le grand Un. Face à un maître qui ne propose comme réponse à la dénonciation par l'hystérique de ce qui ne va pas que la réparation, l'indemnisation, voire la production de lois nouvelles censées prévenir la survenue ultérieure du problème, de l'accident, l'hystérique n'a d'autre possibilité que de s'enfermer dans sa demande, sa revendication, et s'éloigner chaque jour un peu plus de la dialectique du désir, et donc de la ronde des discours. Si le maître moderne est ce maître qui répond dans l'immédiateté à la demande, en quoi il prend la place de la mère, il est celui qui aggrave les difficultés d'accès à la ronde des discours, et donc à l'interprétation, c'est-à-dire au désir — le désir c'est son interprétation- et il aggrave par là même les phénomènes de ségrégation.

Pour la psychanalyse et les psychanalystes, les enjeux sont considérables, puisqu'ils sont d'une part de repérer et de maintenir, quand elles existent, les conditions d'accès à la ronde des discours, c'est-à-dire les conditions opératoires du discours de l'analyste, et d'autre part d'ores et déjà de tenter de rendre compte de ces divers phénomènes de ségrégation, qui sont autant d'exclusions de la ronde des discours, et des possibilités qui existent qui existent de venir raccrocher ses wagons aux discours en circulation.

Cela suppose, pour réaliser cette tâche, de ne prendre aucun discours pour un idéal de discours, ni de prendre la situation hors-discours pour une anomalie. Le refoulement originaire en tant qu'il est une forclusion, n'est pas une anomalie, mais c'est semble-t-il ce contre quoi nous nous défendons le plus, au risque de la ségrégation.